Homélie du 20 août 2017 - 20e dimanche TO



      L’évangile que nous venons d’entendre peut nous paraitre étrange. C’est la première et la seule fois que Jésus pendant son ministère est en dehors de la terre sainte. Jésus se trouve dans la région de Tyr, dans un pays habité par des païens, qui ont des idoles, et que les Juifs ne doivent pas fréquenter. Une femme cananéenne s’approche de Jésus. Elle a entendu parler de Jésus et de son pouvoir de guérison. Elle lui demande la guérison de sa fille. Dans un premier temps Jésus refuse de lui parler pour ensuite lui accorder ce qu’elle lui demande. Comment comprendre le comportement de Jésus ? Dans l’évangile de saint Jean, Jésus affirme qu’il est venu pour que les hommes aient la vie en abondance. On peut tirer deux enseignements de ce passage de l’évangile.
     Le premier, c’est que Dieu ne fait pas de distinction entre les personnes. Nous sommes tous les enfants d’un même Père. Toute l’humanité trouve son origine en Dieu, et il n’y a qu’un seul Dieu. Dieu est le Dieu des chrétiens, des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des animistes, et aussi de ceux qui ne croient pas en lui. Nous l’affirmons lorsque nous récitons le notre Père. Dieu est le Père de toute l’humanité et donc nous sommes tous frères et soeurs, et pas uniquement les chrétiens entre eux. Dieu est unique, mais les chemins pour aller vers lui sont différents. Cela ne veut pas dire que ces chemins soient tous identiques. Certains sont encore embourbés par des conceptions humaines. Et c’est aussi cela que l’évangile veut nous signaler : Jésus est le chemin qui conduit vers le Père, le seul médiateur entre Dieu et les hommes. Cela ne veut pas dire que Jésus dédaigne la prière de ceux qui ne le connaissent pas encore, mais qui le cherchent à travers des ombres ou un filtre déformant. La première lecture d’Isaïe disait : « les étrangers qui se sont attachés au Seigneur, [...], je les comblerai de joie dans ma maison de prière [...] car ma maison s’appellera : « maison de prière pour tous les peuples. »
     Le deuxième enseignement, sur lequel je m’attarderai un peu plus, est celui de la prière. On peut comprendre ce passage de l’évangile comme une pédagogie de la prière. La femme cananéenne appartient à un autre peuple, à une autre culture, elle a une autre religion, une autre croyance, et elle s’approche de Jésus, sans doute comme on va voir un chamane, un guérisseur, un magicien ou un sorcier. Elle le prie de guérir sa fille : « Prends pitié de moi, Seigneur fils de David. » C’est la même prière que lui fit l’aveugle de Jéricho et qui obtient la guérison demandée. On s’attendrait donc à ce que Jésus exauce sa prière. N’est-il pas venu pour sauver tous les hommes, les Juifs comme les païens ? Mais au contraire, il continue sa route sans s’occuper d’elle. La femme ne se décourage pas, continue de demander, et crie tellement que les disciples eux-mêmes interviennent : « Seigneur, par pitié exauce sa prière, elle nous casse les oreilles. » Encore une fois, Jésus la renvoie et même l’humilie en la traitant de petit chien. Elle aurait pu réagir en allant voir ailleurs un autre guérisseur plus compréhensif. Mais la femme ne s’offusque pas, bien au contraire elle fait un acte d’humilité et de confiance. Et Jésus vaincu par sa foi et son humilité lui accorde la guérison de sa fille : « femme ta foi est grande, que tout se passe pour toi comme tu le veux. » C’est à ce point précis que le Seigneur voulait conduire la femme cananéenne : faire grandir sa foi.
     Vous l’avez compris, si Jésus n’a pas accédé tout de suite à la demande de la femme, c’était pour la faire grandir dans la confiance et l’humilité. La confiance et l’humilité sont le fondement de la vie spirituelle, comme aussi de la prière : confiance en la toute puissance de Dieu, humilité qui obéit à la volonté de Dieu. Pour nous aussi Dieu agit comme avec la femme cananéenne. S’il semble ne pas exaucer nos prières, c’est pour nous faire grandir dans la confiance et l’humilité. Et bien souvent nous en manquons : « celui qui hésite ressemble au flot de la mer que le vent soulève et agite. Qu'il ne s'imagine pas, cet homme-là, recevoir quoi que ce soit du Seigneur » (Jc 1,6-7).
Nous avons parfois une conception de Dieu qui s’apparente à celle d’un distributeur automatique. On met une petite pièce, on fait le bon code, et on obtient ce que l’on désire. Et parfois nous demandons à Dieu des choses qui ne conviennent pas pour nous ou pour nos proches. Nous voulons que Dieu fasse selon notre volonté, selon nos projets humains, selon nos plans. Nous demandons à Dieu de violenter la liberté des autres pour les obliger à se convertir ou à agir selon nos manières d’envisager la vie et les choses. Habituellement, sauf exception, Dieu n’intervient pas d’une manière extraordinaire, et il ne contraint pas la liberté de l’homme. Il préfère intervenir de manière ordinaire, en suscitant intérieurement le désir de la conversion, et il se sert de relais humain pour parler au cœur des hommes. Et nous sommes les relais de Dieu pour ceux qui nous sont proches, nos enfants, notre conjoint, nos amis et voisins.
     Certes c’est une souffrance que de constater que notre prière ne semble pas exaucée et même de voir parfois les choses qui empirent. C’est une épreuve douloureuse lorsqu’on constate qu'au bout de 10 ans, 20 ans, 30 ans, les choses ne s’améliorent pas pour les autres ou pour nous-mêmes, que nous tombons toujours dans les mêmes travers, dans les mêmes défauts. Le doute ou le découragement nous guettent. J’ai rencontré une jeune fille qui avait cessé de croire parce que, disait-elle, Dieu n’avait pas répondu à sa prière pour un de ses parents. Souvent nous avons le nez collé à nos épreuves. Nous ne voyons pas que le Seigneur écrit droit avec des lignes courbes.
     C’est alors le moment de la confiance. Comme pour la femme cananéenne qui devient pour nous un modèle de prière et de persévérance. La confiance se prouve dans la persévérance. La confiance ne s’inquiète pas d’être exaucée, elle s’en remet totalement au Père qui sait ce dont nous avons besoin avant même que nous ne le lui demandions et qui corrige nos intentions de prière car nous ne savons pas demander ce qui est agréable aux yeux de Dieu, ce qui est bon pour nous et pour les autres.
     Un jour à Toulouse, lorsque je faisais des études de théologie, je discutais avec un étudiant qui me disait que les carmes se faisaient plaisir en consacrant beaucoup de temps dans la prière. C’est souvent une critique que l’on adresse aux moines et aux moniales. Mais s’il y avait tant de plaisir que cela, je crois que nos églises seraient pleines du matin jusqu’au soir. Bien au contraire, la prière est un lieu de purification et de sécheresse. Je rencontre souvent des carmélites qui après 50 ans de vie de prière et d’oraison, me confient que leur oraison n’est que dégoût (absence de goût) et sécheresse. C’est le signe que donne Jean de la Croix pour garantir que Dieu agit dans leur vie, si elles restent fidèles. Ceux qui recherchent des consolations dans la prière, ne recherchent pas le Christ, ils ne le connaissent pas, et ne peuvent pas prétendre devenir ses amis.
     Il y a là, frères et soeurs, un combat contre nous-mêmes qui nous oppose au moi égoïste, dominateur et jouisseur. Mais aussi un combat « contre les ruses du Tentateur qui fera tout pour nous détourner de la prière ». Saint Alphonse de Liguori écrit que celui qui prie se sauve, tandis que celui qui ne prie pas se damne parce qu’il n’a que lui comme horizon. « On prie comme on vit, parce qu'on vit comme on prie. »
     L’œuvre de la prière ne se trouve pas dans l’efficacité où dans le perfectionnisme mais dans l’abandon confiant. La patience obtient tout, c’est par la persévérance que nous porterons du fruit. Amen !

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Homélie du 16 juillet 2019 - ND du Mont Carmel

Homélie du 15 octobre 2017 - Sainte Thérèse d'Avila

Homélie du 14 décembre 2017 (St Jean de la Croix)