Homélie du 19 janvier 2020 - 2e TO



Frères et sœurs, revenons sur les textes de la Parole de Dieu que nous venons d’entendre.

Tout d’abord, le prophète Isaïe nous annonce : « le Seigneur m’a dit : « Tu es mon Serviteur, Israël, en toi je me glorifierai ».
Israël, quel nom prestigieux ! Mais qu’il est lourd aussi à porter tellement il est riche de souvenirs, de grâces et d’avenir ! Il signifie : « Que Dieu montre sa force ». Ce nom de victoire fut donné à Jacob, ce nomade qui lutta toute une nuit avec l’Ange de Dieu au gué du Yabboq (Gn 32,23-30).
Le nom d’Israël désigna d’abord le peuple des douze tribus dont la vocation était d’être le témoin du Dieu unique et le précurseur du Messie. Mais le peuple Hébreu ne cessa de succomber sous le poids de ses responsabilités. Il regretta toujours de ne pas être un peuple comme les autres.
Aussi, par une mystérieuse loi de sélection, le véritable Israël, après la mort du roi Salomon, ne sera plus bientôt formé que des deux tribus de Juda et de Benjamin, appelé aussi royaume de David ; il ne sera formé, ensuite, que des seuls exilés à Babylone ; puis il sera formé du « petit reste » de pauvres et d’humbles qui se regroupera après l’Exil (538) à Jérusalem ; enfin, un homme issu de cette communauté des pauvres de Yahvé, Jésus de Nazareth. Fils de Dieu et né dans la famille de David, Jésus, rejeté par le peuple de Dieu, sera à lui tout seul celui à qui s’appliquera en toute vérité la parole du prophète : « Tu es mon Serviteur Israël, toi par qui je me glorifierai ».
A partir de Jésus, se formera le nouvel Israël qui comprendra d’abord les judéo-chrétiens de Jérusalem de Damas, d’Antioche ; puis, les païens du monde méditerranéen. Bientôt, saint Paul pourra saluer dans l’Église universelle « l’Israël de Dieu » (Ga 6,16)
L’évangile de ce dimanche nous invite à entendre le témoignage du précurseur du Seigneur, Jean-Baptiste, par un de ses anciens disciples, l’apôtre Jean. Ce disciple nous donne une perspective théologique du Baptême de Jésus très différente des autres évangélistes : Le baptême est l’occasion de la « manifestation à Israël » de Jésus comme Sauveur (V.31). C’est le moment crucial où Le Baptiste désigne à ses disciples le Messie au seuil de sa vie publique. Il proclame publiquement en quoi consiste la mission du Messie : « enlever le péché », enlever, c’est-à-dire prendre sur lui au prix de sa vie, le péché non pas seulement d’Israël mais du monde entier.
Les déclarations de Jean-Baptiste que nous venons d’entendre dans l’évangile ne se comprennent qu’à la lumière du prologue de St Jean, le tout 1er chapitre de son évangile.
En effet, le prologue évoque un mystérieux Verbe, qui est Dieu (v.1), Fils unique dans le sein du Père (V.18), qui s’est fait chair (v.14).
Mais surtout l’apôtre Jean « construit » au début de son évangile une sorte de « première semaine » de Jésus, rappelant la grande semaine de la Création du monde.
Au cours de cette semaine inaugurale, l’apôtre Jean accumule les « titres » théologiques donnés à Jésus et que les autres évangiles ne découvrent que progressivement. Par son prologue, l’apôtre Jean nous entraîne d’emblée vers les sommets pour contempler la personne du Christ.
Jésus est « le Verbe fait chair » (Jn 1,1.2.14)… il est « la lumière du monde » (Jn 1,4.9)… Il est « le Fils unique du Dieu - Père que personne n’a jamais vu » (Jn 1,14.18)… Jésus est « l’Agneau de Dieu » (Jn 1,29.36)… « Le Fils de Dieu sur qui descend et demeure l’Esprit » (Jn 1.32-34)… Il est « le Maître, le Messie, le Christ » (Jn 1,38.41.49)… Il est « Jésus de Nazareth, fils de Joseph » (Jn 1,45)… Il est « Le Fils de Dieu et Roi d’Israël » (Jn 1,49)… enfin, il est le « Fils de l’homme » (Jn 1,51).
Tous ces titres nous sont donnés dans le 1e chapitre de l’évangile de Jean.
Ce contexte éblouissant, qui « brûle » littéralement toutes les étapes de la lente découverte par les disciples de la véritable identité de Jésus…, nous avertit que nous ne pouvons pas rester à une lecture superficielle et anecdotique de ce passage d’évangile.

N’oublions pas que la tradition nous rapporte la rédaction tardive de cet évangile et que ce précieux témoin qu’est l’apôtre « bien aimé » du Seigneur à eu le temps de mûrir dans sa prière tous les événements clefs de la vie de Jésus.
« Voyant Jésus venir vers lui, Jean Baptiste déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. »
Ce petit mot banal de « Voici », simplement indicatif, est une expression biblique très fréquente qui indique « une révélation » qui s’impose : nous ne nous y attendions pas, mais « voici »… « c’est là ».
« Voici, la vierge concevra » (Is 7,14).

Alors, ce « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » nous parle de deux réalités :
Le « mouton » et le « péché ».
Deux mots qui n’entrent guère dans nos catégories d’homme post-moderne.
Ces mots, pourtant, que nous répétons et chantons plusieurs fois à chacune de nos messes.
Mots chargés de sens si nous savons en percevoir le rayonnement.
Mots qui sont une profession de foi des premières communautés chrétiennes.
Mots porteurs de toute une théologie, de toute une vision de l’histoire et de l’homme.
Mots qu’on ne peut pas prendre seulement en leur sens naïf : la douceur et la faiblesse caressante de la petite brebis.
Mots qu’on ne peut comprendre que dans leur profondeur biblique, en acceptant la « culture » dont ils sont chargés.

Pour les auditeurs juifs, l’allusion à l’ « agneau » était claire. Au Temple de Jérusalem, chaque jour, on immolait un agneau pour la purification des péchés du peuple. Avec le sang d’un agneau pascal, égorgé au printemps quand repart la vie après l’hiver, on marquait la porte de sa maison… dans le souvenir fiévreux de la « libération » de l’oppression égyptienne (Ex 12).
A la suite de Jérémie, les prophètes avaient comparé Israël en exil à cet « agneau innocent qu’on conduit à l’abattoir et qui n’ouvre pas la bouche » (Is 53,7 et Jr 11,19).

Nous sommes plongés en pleine actualité. Violences. Oppressions de toutes sortes. Toute époque, et la nôtre aussi, est soulevée par l’espoir de la libération : Aujourd’hui, la science, le progrès des techniques, les luttes sociales et politiques sont promus au rang mythique de « sauveur ».
Hélas, les révolutions, quand elles s’achèvent, n’ont fait souvent que de déplacer les injustices et les tyrannies oppressantes. Et l’homme reste sur sa faim d’une libération, d’un salut radical. Les structures oppressives extérieures ne sont que la manifestation d’une autre force, intérieure : le mal est dedans… au dedans de nous.


« Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. »
« Le » péché du monde. Comme ce singulier est significatif ! Ce n’est pas une petite affaire ! Jésus va le porter sur lui, et faire disparaître « la totalité » du mal du monde ; dans un grand combat sanglant où il versera tout son sang de victime devant ses bourreaux.
Jésus, notre « sauveur » ! Celui qui « enlève » le péché. Le mot grec, ici utilisé par saint Jean, est l’un de ces mots à double sens que l’apôtre affectionne (« airein ») ; il signifie à la fois « porter, prendre sur soi, se charger de… », et aussi « emporter, enlever, faire disparaître… ». Ce n’est pas par un combat extérieur, que Jésus fait progresser la libération… Non, mais c’est en prenant sur lui, en subissant, en se faisant solidaire de tous les écrasés du monde.
Frères et sœurs, quand nous chantons l’« agneau de Dieu » à la messe… laissons-nous irradier par ces mots... Ouvrons nos cœurs. Recevons le « corps de Jésus » livré pour nous. Accueillons le golgotha dans notre cœur.
Historiquement et humainement, Jean Baptiste a été conçu et est né avant Jésus. Mais il faut dépasser les apparences, les évidences rationnelles. Jésus vient d’ailleurs… S’il peut nous « sauver » radicalement, c’est qu’il est plus qu’un homme. Reprenant la méditation de son prologue, Jean nous redit la « pré-existence » du Verbe, « par qui tout a été fait » : éternellement né du Père, Jésus reprend l’acte créateur. L’univers, pourri par le péché, meurtri par la violence, empoisonné par le non-amour, va être « re-créé » de fond en comble : c’est la « première semaine » de ce renouveau.
« Je ne le connaissais pas… » dit Jean Baptiste. C’était pourtant son cousin. Nous ne connaissons pas « Jésus » tant que nous en restons seulement à l’humain.
Derrière l’apparence banale de cet « homme de Nazareth », tout un mystère se cache…
Nous qui prétendons parfois connaître Jésus, nous n’aurons, en fait, jamais fini de le découvrir. Il faut nous faire tout petit, tout pauvre, tout ouvert à la Révélation pour commencer à appréhender le mystère de Jésus.
Frères et sœurs, au moment où le Christ Jésus remet la main à une nouvelle création, libérée de tout ce « péché » qui grevait la première, allons-nous nous laisser re-créer. Allons-nous nous laisser renouveler de l’intérieur, nous laisser « humaniser » jusqu’au bout, dans la « participation à la nature divine » (2 P 1,4)
Demandons ce matin au Seigneur, qu’à travers les événements de notre vie, dans nos rencontres comme dans la solitude de notre cœur, nous sachions reconnaître la présence vivifiante et agissante de Jésus et laissons nous guider par l’Esprit Saint vers les sources d’eau vive. Gloire à l’Agneau de Dieu ! Amen.

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