Homélie du 17 décembre 2017 - 3e Avent (Gaudete)
Au cours de ce temps de
l’Avent, nous voici parvenus, frères et sœurs, au dimanche dit de « Gaudete »
( Réjouissez-vous ! ), et dont le titre est emprunté à la lettre aux
Philippiens : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur; je le redis:
soyez dans la joie.» (Ph 4,4). Nous avons écouté la même invitation dans
notre deuxième lecture (1Th 5), et nous pourrions légitimement nous étonner :
peut-on vraiment donner l’ordre à quelqu’un de se réjouir ? Au milieu des
épreuves, des doutes et difficultés de cette vie, cet ordre n’est-il pas
déplacé ?
Bien des prédicateurs par
le passé ont ressenti cette difficulté. Quel
nouveau commandement ! Peut-on commander de se réjouir ? La joie naît
spontanément et ne peut être, ni commandée, ni forcée. Quand on possède le bien
qu’on désire, la joie coule de source et parfois avec abondance ; mais quand ce
bien désiré nous manque, on a beau dire «réjouissez-vous» et nous réitéré mille fois ce commandement, la joie ne vient
pas.
Ce temps de l’Avent est
donc une bonne occasion de redécouvrir le véritable sens de la joie chrétienne.
De manière significative, la langue latine distingue le « gaudium », un contentement légitime et durable, de la « laetitia », un mouvement d’humeur superficiel ; la
même différence sépare la paix profonde, celle de l’âme qui jouit de son
Seigneur, de la joie passagère que nous offre le monde et ses vanités. Comme
l’océan, l’âme peut être agitée en surface, et n’avoir aucune laetitia,
mais trouver dans les profondeurs de sa vie spirituelle le gaudium qu’engendre
la présence de Jésus. Cette paix intérieure de la conscience, rien,
absolument rien, ne peut nous l’ôter : l’unique véritable préoccupation de
notre vie devrait donc être de ne pas perdre notre union avec lui.
C’est pourquoi
l’invitation de saint Paul, dans la deuxième lecture (soyez toujours dans la
joie) est reliée à son exhortation finale à la sainteté (que Dieu vous
garde sans reproche). Le Seigneur, par sa présence bienfaisante, infuse
dans l’âme une sérénité profonde; il se penche sur ses plaies pour les
guérir, et lui donne la fécondité spirituelle, qui est la vraie source de
«réalisation personnelle». Ne l’avons-nous pas déjà expérimenté lors d’une
communion eucharistique? La joie est alors un signe tangible de l’œuvre de
sanctification que Dieu réalise dans l’âme.
Le pape Benoît XVI
l’exprimait ainsi :
«
La vraie joie n’est pas le fruit du
divertissement, entendu dans le sens étymologique du terme di-vertere, c’est-à-dire sortir des
engagements de sa vie et de ses responsabilités. La vraie joie est liée à
quelque chose de plus profond. Certes, dans les rythmes quotidiens, souvent
frénétiques, il est important de trouver des espaces de temps pour le repos, la
détente, mais la vraie joie est liée à
la relation avec Dieu. Qui a rencontré le Christ dans sa vie, éprouve dans
son cœur une sérénité et une joie que personne ni aucune situation ne saurait
faire disparaître. […] La vraie joie n’est pas un simple état d’âme passager,
ni quelque chose que l’on atteint de ses propres forces, mais elle est un don, elle naît de la rencontre
avec la personne vivante de Jésus, de la place que nous lui accordons en nous,
de l’accueil que nous réservons à l’Esprit Saint qui guide notre vie. C’est
l’invitation de l’apôtre Paul, qui dit : « Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers, et qu'il
garde parfaits et sans reproche votre esprit, votre âme et votre corps, pour la
venue de notre Seigneur Jésus Christ. » (1 Th 5, 23)
Bien sûr, frères et sœurs, nous
avons parfois de vraies raisons de ne pas être joyeux : deuil, souffrance,
maladie, inquiétudes pour nos proches, etc. Saint Paul, en osant nous prescrire
d’être « toujours joyeux », nous indique comment vivre ces moments-là :
avec foi et confiance.
La présence du Seigneur qui s’est
fait homme, qui vient chaque jour dans nos cœurs nous assurer de son amour, qui
ne nous abandonne jamais et reviendra à la fin des temps, produit dans l’âme
croyante un fond de paix teinté de joie que nul ne peut lui ravir. Dans les
moments d’épreuve, nous laissons-nous saisir par cette vérité ?
Permettez-moi de vous citer une
mystique anglaise du XIVe siècle, la bienheureuse Julienne de
Norwich, qui à travers ses épreuves redécouvrait ce Roc qu’est le Christ. Je la
cite :
«
Je vis avec une absolue certitude… », nous dit-elle, « que Dieu, avant de nous créer, nous
a aimés, d’un amour qui n’est jamais venu à manquer, et qui ne disparaîtra
jamais. Et dans cet amour, il a accompli toutes ses œuvres et, dans cet amour,
il a fait en sorte que toutes les choses soient utiles pour nous, et dans cet
amour notre vie dure pour toujours... Dans cet amour, nous avons notre
principe, et tout cela nous le verrons en Dieu sans fin.»
Reconnaissons par ailleurs, frères
et sœurs, que nous nous attristons souvent sans vraie raison : déconvenues,
retards, contrariétés matérielles ou professionnelles. Tant d’événements
secondaires qui ne devraient pas avoir le pouvoir d’attrister notre âme.
Essayons donc, pendant cet octave préparatoire à Noël, de voir ce qui nous réjouit ou nous attriste. Nous nous savons
aimés et sauvés par le Christ : les contrariétés du monde présent doivent
retourner à leur vrai place.
Alors
comme exemple de joie parfaite en présence de Jésus, l’Écriture nous montre la
figure de Jean-Baptiste ; celui-ci nous est présenté comme précurseur et témoin. A ce titre, Jean-Baptiste
est une source d’inspiration pour la vocation sacerdotale. Comme lui, tout
notre ministère – et toute notre existence – est centré sur Jésus. Nous sommes
la voix qui, par la prédication et l’accompagnement des fidèles, invitons à «préparer
les chemins du Seigneur». Nous rappelons et montrons à nos
frères et à nos sœurs sa présence en ce monde : «au milieu de vous se tient
celui que vous ne connaissez pas…» Bien souvent, nous devons nous effacer,
pour ne pas centrer l’attention ou l’affection des fidèles sur notre personne,
et pour les renvoyer inlassablement à Jésus : «Je ne suis pas le Messie… ni
Élie… ce n’est pas moi le prophète… C’est LUI qui vient derrière moi !» (Jn
1).
Pour notre Pape François, Jean-Baptiste
nous montre la voie d’un véritable anéantissement, voici ce qu’il dit à propos
de Jean-Baptiste :
«S’anéantir. Quand nous contemplons
la vie de cet homme si grand, si puissant, tous croyaient qu’il s’agissait du
Messie, quand nous voyons comment cette vie s’anéantit jusqu’à l’obscurité
d’une prison, nous contemplons un mystère. (…) Nous ne savons pas comment se
sont passés [ses derniers jours]. Nous savons seulement qu’il a été tué et que
sa tête a fini sur un plateau comme le grand cadeau d’une danseuse à un
adultère. Je crois qu’on ne peut pas aller plus bas que
cela, s’anéantir plus. »
En même temps,
la joie du prêtre est immense et sa place privilégiée, lorsqu’il assiste aux
épousailles entre Jésus et son Peuple, se retirant humblement devant la
grandeur du mystère, dont il a pourtant été l’instrument. Il rejoint,
encore une fois, Jean-Baptiste qui nous dit : « Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami
de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de
l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète. Il faut que lui grandisse, et
que moi je décroisse.» (Jn
3,29-30).
Alors, frères et sœurs, durant ce temps de l’Avent, la liturgie nous présente deux exemples de véritables joies : celle de
Marie et celle de Jean-Baptiste. En contemplant leurs vies, il y a certainement
un aspect ou l’autre de leur vie qui frappe plus notre imagination, et que nous
pouvons essayer d’imiter cette semaine.
AMEN.
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