Homélie du 29 mars 2020 - 5e CA
Frères et sœurs, (absents
physiquement mais bien présents dans nos cœurs), la scène d’évangile de ce
jour nous dévoile très intimement les sentiments du cœur même de Jésus.
Lazare n’est pas un inconnu pour Jésus : « Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare. »
(v.5). Pourtant,
apprenant la maladie de Lazare, il ne se précipite pas. La reconstitution temporelle du récit permet de comprendre que Lazare
est, en fait, déjà mort lorsque parvient à Jésus la nouvelle de sa maladie,
puisque à son arrivée à Béthanie, il est enterré depuis
quatre jours. Toutefois, Jésus ne cherche pas à précipiter le signe et à aller réconforter cette famille
« amie ». Pourquoi
?
Nous sommes, nous aussi, les bien-aimés du Seigneur,
surtout si nous avons « oint la tête du Seigneur de parfum
», comme Marie (v. 2), c’est-à-dire
si nous lui avons manifesté une grande dévotion par notre vie et nos actions. Nous ne sommes pas des étrangers pour lui
et il n’est pas indifférent à notre sort. Mais son heure n’est pas la nôtre
et nous sommes souvent appelés à espérer, en attendant qu’il agisse puissamment. Cela nous déconcerte... ou nous désespère
complètement. Nous lui faisons des reproches, comme Marthe, Marie ou les Juifs
présents : « Si tu avais été là... ne pouvait-il
pas faire en sorte que celui-ci ne mourût pas ? » C’est aussi le même reproche que reprend la liturgie de
l’Église : « Seigneur, si tu étais plus présent en ce monde, nos frères ne
mourraient pas... Pourquoi tarder ? Viens, Seigneur Jésus ! » (Ap
22,20.).
On remarque dans le texte de ce jour que Jésus ne s’offusque pas de ces reproches. Il connaît bien le poids de notre humanité. Si nous
sommes accablés par l’épreuve, n’ayons pas peur de parler franchement à Dieu, de lui
dire que nous ressentons cruellement son absence et que nous ne la comprenons
pas. Il nous enverra
alors très certainement des signes de sa compassion. Mais continuons surtout
d’entendre ces mots : « Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare... »
Le récit
continue : « Lorsqu'il la vit pleurer ; et pleurer aussi les Juifs qui l’avaient accompagnée, Jésus frémit en son esprit et se troubla. » v. 33.
Prenons d’abord
le deuxième verbe, « se troubla ». À deux autres
reprises, l’évangéliste Jean mentionne ce trouble de Jésus : lorsqu’il
déclare que l’heure est venue et qu’Il va être glorifié (Jn 12,27) et lorsqu’il
annonce la trahison de Judas (Jn
13, 21).
Jésus est troublé par la mort et les œuvres des
ténèbres… Plus encore, ici, il est troublé
par la peine de l’homme. Il sait pourtant qu’il va ressusciter Lazare, mais le
chagrin de ses proches endeuillés le transperce. C’est vrai aussi pour nous si nous
vivons une situation de deuil ou de grande peine. Jésus ne nous dit pas que nos
larmes nous font grandir ou nous purifient, ni que nous devrions endurer
stoïquement l’épreuve. Non, il est
profondément touché et troublé de nous voir souffrir. Soyons-en sûrs et
gardons présente cette image de Jésus affligé pour nous et présent à nos côtés.
L’évangéliste
ajoute aussi que Jésus « frémit ».
Le verbe utilisé ici n’évoque pas la peur, mais plutôt l’irritation, un
grondement de colère. Jésus frémit une seconde fois face à la tombe. Il n’est pas résigné devant la mort de ses
amis. Il n’est pas, non plus, simplement troublé. Il est en colère. Quelque chose, en lui, se soulève profondément contre la mort, sous
toutes ses formes. Dieu a fait l’homme
non pour la mort,
mais pour la vie, et le Maître de la vie réagit ici à la présence de la mort
qu’il s’apprête à anéantir.
Cessons donc de croire
que Dieu puisse vouloir notre mort, comme une épreuve salutaire, même si elle
peut effectivement le devenir.
« Dieu n’a pas créé la mort et ne se
réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. » (Sg 1, 13)
« La mort est entrée dans le monde
par la jalousie du diable. » (Sg 2,24)
Et Dieu ne collabore
pas avec le diable. Entendons plutôt le
grondement de colère de Jésus face à toute œuvre de mort naturelle ou
spirituelle. Il vient se joindre à notre propre révolte et à notre propre
colère, et triomphera finalement de toutes choses.
Enfin, Jean écrit
laconiquement : « Jésus pleura. » (v.35).
Ces larmes, Jésus les verse face au tombeau scellé de Lazare, face à tous les
tombeaux où l’homme est maintenu prisonnier. Sur toutes nos souffrances et tous nos péchés, Jésus pleure.
Si nous souffrons
aujourd’hui au point de ne plus savoir quoi dire dans la prière, regardons
Jésus pleurer avec nous et pleurons avec lui.
Si nous sommes
prisonniers du péché, ne regardons pas le
juge, ce n’est pas encore le temps du jugement, regardons Jésus qui pleure.
Si, à l’inverse, nous
pensons que notre péché est indifférent à Jésus, qu’il nous aime tellement que
cela ne l’atteint pas…, là encore, regardons-le pleurer et convertissons-nous.
Ces deux mots - « Jésus
pleura » - forment le verset le plus court de toute l’Écriture...
mais peut-être le plus révélateur.
Dieu n’est pas seulement présent à sa création et à l’humanité, Il s’est
incarné pour nous révéler, en Jésus, qu’Il est penché tendrement sur elle,
affecté par son sort, bouleversé jusqu’à verser des larmes.
Cette présence de
Jésus doit avoir des conséquences pour nous : elle implique que nous lui
parlions tout au long de nos journées, que nous l’associons à tout ce que nous
faisons, que nous l’invoquions et intercédions concrètement, que nous prenions
le temps de découvrir sa présence dans la prière, que nous croyions qu’il peut
changer le cours des choses.
Recherchons dans la
prière cette tendresse divine qui vient toucher nos cœurs, panser nos plaies,
guérir nos blessures. C’est le même aspect de tendresse personnelle que la
liturgie a retenu dans la préface de ce dimanche :
« Jésus est cet homme plein d’humanité qui a pleuré sur son ami Lazare ;
il est Dieu, le Dieu éternel qui fit sortir le mort de son tombeau : ainsi,
dans sa tendresse pour tous les hommes, il nous conduit, par les mystères de sa
Pâque, jusqu’à la vie nouvelle. » (Préface
du 5e dimanche de Carême).
Cet épisode nous montre ainsi le double attachement du Cœur du Christ : à son Père, Dieu de la vie, dont il manifeste la gloire ; aux hommes, ses amis,
qu’il vient sauver. C’est pourquoi insister sur la
foi est si important pour Jésus dans ce passage, puisqu’elle
relie l’homme à Dieu…
A notre tour, croyons-nous que l’espérance de la
résurrection ne nous offre qu’une lointaine perspective, ou bien que Jésus est
là, présent à nos côtés aujourd’hui, pour réaliser les mêmes œuvres et
infléchir le cours des choses ? Pour le savoir, demandons-nous pour quelle
guérison, quelle conversion, quelle situation, en apparence sans espoir, nous
prions et œuvrons en ce moment… Peut-être Jésus tarde-t-il à venir dans notre
vie spirituelle, comme il a fait attendre Marthe et Marie pour mieux manifester
sa gloire ?... L’attente creuse en nous l’espérance.
Seigneur, accorde-nous la sagesse que donne la
méditation sur la mort : que notre cœur ne s’attache pas à ce monde qui passe,
mais qu’il soit ancré en Toi.
Montre-nous toutes les vanités de notre vie, et libère-nous de ces illusions.
Nous te confions, Seigneur, tous les défunts de nos familles, et tous ceux qui
sont affligés par le deuil ; donne-nous la consolation de ta présence dans
l’Eucharistie, en attendant ton retour où tu viendras ouvrir définitivement nos
tombeaux. Amen.
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