Homélie du 08 mars 2020 - 2e CA


            Frères et Sœurs, comme chaque année durant le temps de Carême, la liturgie de la Parole nous invite à contempler le mystère de la Transfiguration du Seigneur. Pourquoi ce choix en Carême ? C’est simplement que le temps du Carême, chemin de renoncement et de sarifices, est un chemin difficile et il est bon d'en désirer le terme : la vie bienheureuse avec le Christ. Ce but final motive nos efforts d'ascèse et nous soutient alors que nous voyons la Passion se profiler à l'horizon. Comme Jésus et en sa compagnie, nous allons à la lumière à travers la croix : Per Crucem ad Lucem.
            Les premières lectures des dimanches de Carême forment un cycle particulier qui parcourt l'histoire d'Israël : nous avions le récit des origines (la semaine dernière), la vocation d'Abraham (ce dimanche), puis Moïse, David et les prophètes dans les semaines à venir. C'est un parcours traditionnel, c’est celui que le premier martyr saint Étienne, adopte dans son discours devant le Sanhédrin (Ac 7), et que reproduit le Catéchisme en décrivant les débuts de l'Église dans l'Ancien Testament.
            Or, l'adoption de ce cycle pour les premières lectures explique pourquoi cette semaine, le lien n'est pas évident entre le récit de la Genèse et l'Évangile. Nous pouvons toutefois remarquer qu'Abraham reçoit l'appel de Dieu dans une profonde obscurité. Son père Térah vient de mourir comme son plus jeune frère et sa femme Sarah est stérile (Gn 11). Il s'appelle encore Abram, dont l'étymologie signifie « mon père est noble », soit pour souligner son origine noble, soit pour souligner qu'il adore le Très-Haut. Il faudra attendre six chapitres et la conclusion de l'Alliance divine pour que le changement de nom reflète l'espoir revenu : « Et l'on ne t'appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te fais père d'une multitude de nations. » (Gn 17, 5).
            La promesse divine, en Gn 12, est la première Parole adressée à Abraham par Dieu, et elle contient déjà le changement de nom que nous venons d’évoquer (« Je rendrai grand ton nom »). Cette Parole resplendit comme une promesse extraordinaire : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (v.3). Abraham se met donc en marche à la lumière de cette espérance, en silence, dans la foi. La Lettre aux Hébreux admirera sa foi : « Par la foi, Abraham obéit à l'appel de partir vers un pays qu'il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait. » (Heb 11, 8). Il ne quitte pas seulement son pays et sa parenté mais commence d'être arraché à l'obscurité qui marquait son existence puisqu'un but lui est assigné. Lors de la Transfiguration, c'est la même dynamique entre ombres et lumière : Jésus annonce sa Passion sur le chemin des disciples, qui suivent eux aussi l'appel divin…
            L'épisode de la Transfiguration (Mt 17) fut une expérience centrale dans la vie des trois disciples choisis par le Seigneur. Le mont Thabor son cadre choisi par la tradition, se situe spirituellement entre le Jourdain et le Calvaire, début et fin de la vie publique de Jésus. Ce sont trois lieux où sa filiation divine est proclamée, lors du baptême d'abord, par le Père… (Mt 3, 17 : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur »), ensuite aux disciples dans le passage de ce jour (Mt 17, 5, où la voix ajoute simplement : « Écoutez-le »), enfin comme réponse humaine sur les lèvres du centurion lors de la Passion (Mt 27, 54 : « Celui-ci était fils de Dieu ! »).
            La Transfiguration est donc une étape dans le cheminement spirituel des disciples. Ils ont suivi l'appel du Seigneur, comme Abraham ; bientôt ils vont être confrontés au scandale de la croix. Jésus le leur annonce, et les y prépare à travers une expérience mystique qui fait resplendir la lumière au-delà des ténèbres qui s'accumulent contre lui et vont sembler le vaincre. Aujourd'hui encore sur notre chemin de Carême nous avons besoin d'une telle lumière comme nous le fait prier la liturgie :
            « Tu nous as dit, Seigneur, d'écouter ton Fils bien-aimé ; fais-nous trouver dans ta parole les vivres dont notre foi a besoin : et nous aurons le regard assez pur pour discerner ta gloire... »
            Alors, comment vivre ce mystère de la Transfiguration dans l'histoire de l'Église ? Saint Paul nous montre la voie : nous lisons en deuxième lecture un message qu'il envoie à Timothée (2 Tim 1) : l'apôtre rejoint son disciple dans les souffrances et les difficultés de l'évangélisation, et lui rappelle que sa vie est inscrite dans le projet de Dieu qui s'est révélé en Jésus-Christ et a illuminé nos existences. Ces quelques versets sont comme un hymne à la grâce et à la providence divines qui sont éternelles mais nous rejoignent dans l'histoire à travers Jésus Christ.
            Son vocabulaire et donc son message théologique sont très proches du mystère de la Transfiguration, surtout dans ce verset : « Cette grâce est maintenant devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s'est manifesté ; il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l'immortalité par l'annonce de l'Évangile » (2Tim1,10).
            Sur le Thabor, nous assistons précisément à la manifestation-épiphanie de l'être profond du Christ : son corps est « métamorphosé » et rend « visible » sa divinité. Il fait resplendir par anticipation sa future vie glorieuse. Pour le dire plus simplement : le Christ est la Lumière qui éclaire notre chemin et nous ouvre à la vie divine. À la suite des trois disciples choisis pour assister à la Transfiguration, Paul fera, sur le chemin de Damas, cette même expérience qui changera sa vie.
            Frères et Sœurs, Le Christ amène ainsi chacun à faire l'expérience du Thabor. Pourquoi ? Parce que notre chemin comme le sien passe par le Calvaire ; et dans les moments difficiles où la croix s'abat sur nos vies, c'est l'espérance de la gloire qui nous maintient fidèles. Nos expériences de la Transfiguration, si elles sont authentiques nourrissent en nous la foi qui nous dévoile l'inattendu : la croix que nous voudrions rejeter est une bénédiction, elle est le chemin pour aller vers le Père.
            Mais dans notre cheminement ordinaire, nous sommes parfois bien préoccupés par notre itinéraire spirituel notre exercice des vertus et notre effort ascétique surtout en cette période de Carême ; nos regards ont tendance à s'attacher ici-bas à notre petit monde, et la tristesse de notre médiocrité - voire de notre péché - n'est pas loin. Parce que nos propres forces ne seront jamais suffisantes pour suivre le Christ.
            Et pourtant Jésus continue à nous emmener sur la montagne ; à l'improviste, il nous offre ces dons spirituels que nous n'osions même plus demander : le don de la contemplation, la charité effective, une illumination particulière pour notre labeur apostolique. Sans aucun mérite de notre part. Simplement parce que le Seigneur nous aime, qu'il nous rejoint là où nous sommes, qu'il veut nous faire partager son bonheur de communion avec le Père.
            Recevoir la gloire : n'est-ce pas ce que Jésus est venu nous enseigner ? N'est-ce pas le but de toute notre vie chrétienne d'être finalement pleinement introduits dans la gloire de Dieu ?
            Sachons donc remercier le Seigneur pour toutes les expériences de communion entre nous, de lumière dans la prière, d'enthousiasme et de succès dans la mission : il nous les donne dans sa bonté comme autant de petites montées au Thabor.
            Mais sachons aussi redescendre et rendre au Seigneur toute la gloire, prendre notre modeste place dans l'œuvre commune, et accepter humblement les croix de chaque jour.
            Comment y parvenir ? En demandant simplement la grâce d’une plus grande docilité à l’Esprit Saint. Demandons-là à la T.S Vierge Marie, mettons-nous à son école…                  Amen.

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