Homélie du 25 août 2019 - 21e TO
Frères
et sœurs, la page de l’évangéliste Luc que nous venons
d’entendre ce matin est une mosaïque de paroles de Jésus que nous
pouvons toutes retrouver mais de manière dispersé dans
l’évangile de Matthieu. Luc a donc rapproché des paroles de
Jésus dites en diverses circonstances. Pourtant,
nous avons là un texte d’une grande unité : en réponse à une
question sur le nombre des élus.
Jésus affirme deux vérités apparemment contradictoires... la porte
du ciel est
«
étroite », mais ce sont les païens qui s’engouffrent au festin
messianique, tandis que les premiers invités restent
dehors.
Alors,
reprenons ensemble ce matin, frères et sœurs, cette belle page
d’évangile…
Dans sa
marche
vers
Jérusalem,
Jésus
passait
par les villes et
les
villages, en enseignant.
Luc
y revient : Jésus est « en route » vers la ville sainte, où nous
savons ce qui va se passer. Jésus « voyage ». Il n'est pas figé.
Il
marche
! Ce mot est utilisé 88 fois par Luc, compagnon de saint Paul, ce
grand voyageur. La
vie chrétienne est aussi un voyage, une marche en avant.
Et
nous, frères et sœurs, sommes-nous
bien en marche avec l’Église où restons-nous figé, arrêté,
immobile ? « L'histoire avec son évolution
fait
partie du plan de Dieu. Le « temps » est créature de
Dieu.
Jésus s’est inséré dedans. Il ne l’a pas arrêté et nous a
même assuré sa présence tous les jours jusqu’à la fin du monde.
»
Quelqu’un
lui demanda : « Seigneur, n’y
aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? »
Question
brûlante, toujours actuelle. Question très humaine, toute gonflée
du sang de nos liens affectifs…
Comment
pourrions-nous être heureux au ciel si les nôtres n’y étaient
pas ? Question bien naturelle : « N’allons pas seul au festin du
Royaume ; sur nos chemins, annonçons la Bonne Nouvelle... Quiconque
n’aurait pas ce désir que « tous» soient sauvés,
ne pourrait pas l’être lui-même, puisqu’il n’accomplirait pas
la loi même du royaume de Dieu qui est l’amour universel… « Dieu
notre sauveur veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm
2,4)… Alors, que va répondre Jésus...
Jésus
leur dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte
étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et
ne le pourront pas. »
Une
fois de plus, Jésus ne répond pas directement. Il ne dit pas s’il
y aura beaucoup d’élus, ou « peu ». Il fait comme si
cette question théorique ne l’intéressait pas et, immédiatement,
il ramène ses auditeurs à leur responsabilité.
«
Au lieu de discuter de manière
intellectuelle, mettez vous
concrètement à « entrer » dans
cette vie éternelle… Il s’agit
d’entrer !
»
La curiosité sur le
nombre des élus trahit une
recherche
de sécurité qui
pourrait être
très malsaine : si
tout le monde
va
au ciel, pas besoin de
s’en tracasser, si
très peu y vont, pourquoi faire tant d’efforts
qui ne serviront à rien ?
Jésus laisse
donc l’imprécision, renvoyant chacun
à la décision
qu’il doit prendre, et affirmant que
« c’est sérieux
». Jésus ne veut pas « rassurer », il veut
nous rendre «
responsable ». Il utilise dès lors une image familière
dans toute
la Bible :
le
Royaume de Dieu est comme une salle
de
festin.
Mais il ajoute :
on
se bouscule devant la porte,
car
elle est « étroite ». Le mot
grec
utilisé par Luc traduit par « efforcez-vous » est le verbe
violent
« agonizesté » qui
signifie
littéralement «
battez-vous
pour
entrer
». Le
mot
«
agonie » en français vient de la même racine : c’est
l’ultime
combat de la vie.
Pour offrir le salut à « tous les
hommes »,
Jésus s’est « battu » le premier, à Gethsémani et
au
Golgotha. Jésus ne nous donne pas un conseil qu’il n’aurait
pas
vécu
lui-même.
Il disait, dans un autre passage,
que « seuls
les
violents s’emparent du Royaume des
cieux»
(Mt
11,12, Lc 16,16).
Pour
gagner le ciel, quel est
donc
mon combat ?
Sur quel point précis ai-je à lutter,
dans
la situation qui
est la mienne,
avec le tempérament particulier que j’ai, en surmontant
les conditionnements et contraintes qui pèsent sur ma vie ?
Saint Paul
utilise le même mot « agôn », «
combat », pour
dire ce qu’est la vie chrétienne. « Je trouve ma joie dans les
souffrances que j’endure, pour annoncer le Christ : c’est
mon labeur et mon combat » (Col 1,29,1 Co 9,25, Col 4,12, 1 Tm
4,10). « J’ai combattu le beau combat, j’ai achevé ma course,
j’ai gardé la foi » (1
Tim 4,7).
Comment
pourrions-nous avoir
l’illusion d’ « entrer »
au ciel sans effort ?
La vie chrétienne
n’est
pas un
fauteuil.
C’est bien sûr un don gratuit, offert
même
aux pécheurs. Encore
faut-il l’accepter
ce
don... ne pas s’y fermer
radicalement.
Quand le
maître de maison se sera levé et
aura
fermé
la porte, si vous, du dehors, vous
vous
mettez à
frapper à la porte, en disant :
«
Seigneur, ouvre-nous
»,
il
vous répondra : « Je ne sais pas d’où
vous êtes. »
La
parabole violente se
poursuit :
la porte,
qui
était étroite devient maintenant une
porte «
fermée ». L’invitation à entrer était urgente : le temps
presse, demain il sera trop tard… C’est
aujourd’hui qu’il faut « entrer dans le
Royaume
». Oui, un jour, pour
moi aussi, il
sera
trop tard.
Combien de temps me reste-t-il ? Il
faudrait que nous vivions
chaque jour, comme si
c’était le dernier.
Alors vous
vous mettrez à dire : « Nous avons
mangé
et bu en ta présence et tu as enseigné sur
nos
places.» Il vous répondra : « Je ne sais pas d'où
vous
êtes. Éloignez-vous de moi vous tous qui faites
le
mal»
Le
peuple d’Israël, conscient
de la
valeur de l’Alliance pouvait difficilement admettre
que des païens entrent
au Royaume de Dieu… Pour Jésus, au contraire, ces privilèges
raciaux ne comptent pas. L’avertissement sévère du Christ, qui
s’appliquait d’abord à ceux qui avaient « mangé et bu »
avec lui, à ceux qui avaient « écouté sa prédication »,
s’applique maintenant à nous qui partageons la table eucharistique. La brève petite heure vécue avec Jésus le
dimanche, ne saurait compenser toutes les autres heures de la semaine
que nous passerions loin de lui, en l’oubliant.
Il
y aura des pleurs et
des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob,
et tous les prophètes dans le Royaume de Dieu, et que vous serez
jetés dehors. Alors, on viendra de l’Orient et de l’occident,
du
Nord et du Midi, prendre place au festin du Royaume de Dieu. Oui, il
y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront
derniers.
Ce
langage pourrait nous donner l'impression que des gens de
bonne volonté, ayant vraiment cherché à entrer au ciel en seraient
exclus arbitrairement par la décision autoritaire d’un maître
impitoyable. Ce serait une caricature de Dieu ! Dieu n'est ni
implacable, ni injuste. Qui
n’entre pas au festin, en réalité, ne doit s’en prendre qu’à
lui-même.
En effet, même les païens, par une sorte de retournement (les
derniers deviennent premiers !), arrivent de tous les points de
l’horizon. Dieu a tout fait pour que la fameuse porte
«
étroite », il est vrai, car c’est sérieux l’éternité, soit
une porte « ouverte» à tous, sans distinction. Le destin tragique
d’Israël, premier invité, et
qui
est devancé par les peuples de partout, doit réveiller nos
torpeurs.
On n’entre pas au ciel comme ça, sans
s’en
rendre compte pour ainsi dire. Il
faut le vouloir.
Il faut
se battre
pour. Il faut opter pour Jésus. Ce n'est pas l’appartenance à un
groupe, à une race, à une famille, ni la pratique de quelques
rites, qui peuvent nous donner une illusoire assurance... C'est
l’engagement de
tout
notre être, de
tous
nos instants, à la suite de Jésus. Et
surtout, frères et sœurs, ne jugeons pas les autres.
Nous
savons deux choses :
1°
du
côté de Dieu tout a été fait pour le salut de
tous les
hommes... ;
2°
du côté de l’homme, il reste le sérieux de la
liberté
qui peut refuser le « don » de
Dieu,
et cette
liberté est un combat...
Ici-bas, nous ne savons jamais si cette liberté de nos frères a dit
son dernier mot. La
dernière rencontre de Dieu, à l'instant de la mort, doit être
bien décisive.
Toute
personne qui a compris cet enjeu fantastique, ne peut que devenir «
sauveur » avec Dieu : Ne venons pas seul au festin du Royaume ; sur
les chemins, crions la Bonne Nouvelle… Dieu nous presse d’entrer
dans l’unique salle des noces pour nous rassembler dans l’amour.
Demandons au Seigneur
Jésus,
Lui, l’espérance des
hommes
de faire de chacun de nous des infatigables témoins de son
salut... AMEN.
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