Homélie du 16 juillet 2019 - ND du Mont Carmel
Frères et sœurs, le
passage d’évangile proposé à notre méditation, en cette
solennité de Notre Dame du Mont Carmel, nous invite à contempler
Marie
au pied de la Croix.
Essayons de
comprendre comment Marie a réagi face à l’attitude de son Fils et
de Dieu lui-même à son égard ? Quelle fut sa réponse ?
Tout d’abord, nous
constatons une évidence : jamais, de la part de Marie, le
moindre signe d’opposition de volonté, de réplique ou
d’autojustification ; jamais la moindre tentative pour faire
changer la décision de Jésus devant cette mort ignominieuse. Marie
est d’une docilité absolue.
Ici se manifeste la sainteté personnelle et unique de la Mère de
Dieu, la plus grande merveille de la grâce.
Pour mieux nous
rendre compte de l’attitude exemplaire de Marie, il suffit de
regarder l’apôtre Pierre. Quand Jésus lui fit comprendre qu’à
Jérusalem l’attendaient rejet, passion et mort,
Pierre « protesta » et dit : « Non,
Seigneur, cela ne peut arriver, ne doit arriver » (Mt
16,22).
Il se préoccupait pour Jésus, tout autant que de lui-même. Rien
de tel en Marie.
Marie se tait. Sa
réponse est le silence.
Non pas un silence de repliement sur soi et de tristesse, mais un
silence qui aide progressivement à s’abandonner à la volonté de
Dieu.
Alors, non, le fait
de se taire à la Croix ne signifie pas que tout est facile pour
Marie, loin de là ! Ni qu’elle n’ait pas à surmonter
luttes, peines et ténèbres. Elle fut exempte du péché, certes,
mais non de la lutte et de la « peine de croire ». Si
Jésus a dû lutter et suer du sang pour amener sa volonté humaine à
la pleine adhésion à la volonté du Père, est-il
surprenant que sa Mère aussi ait dû « agoniser » et
combattre ?
Et pourtant, nous pouvons être certains que Marie n’aurait voulu,
pour rien au monde, retourner en arrière.
Jésus n’avait-il
pas dit au cours de sa vie publique : « Si
quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et
prenne sa croix, et qu’il me suive. En effet, qui veut sauver sa
vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de
l’Évangile la sauvera »
(Mc
8,34-35)
En d’autres termes,
si je veux suivre le Christ, je ne dois pas me ranger de mon côté,
prendre ma défense, ou celle de ma nature, m’agripper à moi-même,
pour tenter d’assurer ma vie. Je dois, au contraire, renoncer
à moi-même,
à mes tendances naturelles, dans
une disponibilité à Dieu qui aille jusqu’à la mort.
Alors, c’est vrai,
le renoncement n’est jamais une fin en lui-même, ni un idéal en
soi. Le plus important est la réalité positive : « Si
quelqu’un veut venir à ma suite » :
c’est
suivre le Christ.
Dire
non à soi-même est le moyen ; dire oui au Christ est le but.
Ne se reniant pas
lui-même, Pierre renie le Christ. En voulant sauver sa vie, il la
perd ; il perd sa vraie vie, son vrai moi, ce qu’il a de
mieux, sa raison même d’exister… À peine après avoir renié,
Pierre s’aperçoit qu’il est perdu, car qu’est-ce désormais
que Pierre sans son maître ? Rien !
Les paroles de Jésus
nous invitant à le suivre, touchent au cœur du problème de notre
vie. Il s’agit de savoir quel fondement nous voulons donner à
notre existence : notre
« moi » ou le Christ.
Pour qui voulons-nous vivre : pour
nous-mêmes, ou pour le Seigneur ?
Le choix se présente de manière décisive dans la vie des martyrs.
Ils se sont trouvé un jour de leur vie dans l’alternative ou de se
renier eux-mêmes ou de renier le Christ. Sous forme différente le
choix s’impose à chacun de nous, chaque jour et même à tout
moment de notre vie. Chaque
« non » dit à soi-même par amour est un « oui »
dit au Christ.
Mais l’ascèse
chrétienne n’est pas qu’un renoncement, elle est tout autre
chose qu’une autodestruction de notre volonté propre. Elle
est surtout la voie pour atteindre une vie plus pleine, plus
accomplie.
Prenons
un exemple :
pourrions-nous parler de renoncement pour un pauvre si celui-ci
abandonne sa cabane misérable, obscure et humide où il passe le
plus clair de son temps, pour aller habiter un magnifique palais,
équipé de tous les biens de Dieu et où on l’invite
gratuitement ? Le renoncement ne serait-il pas plutôt le
contraire : préférer rester dans sa pauvre cabane aux murs
lézardés ? Notre
« moi » humain est cette cabane et le palais, c’est le
Christ.
Frères et sœurs, en
acceptant la volonté de Dieu, Marie
crucifie sa volonté propre auprès de son Fils en croix.
Quel contraste avec les images de l’enfance de Jésus où Marie
tendait les bras vers son Fils pour accueillir son affection. Sous la
Croix, Marie
cache désormais ses mains vides
qui semblent inutiles.
Entre elle et son
Fils sur la croix semble s’établir une distance que rien ne peut
combler. Et
pourtant,
quand Marie entendit son Fils prier sur la croix : « Père,
pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font »
(Lc
23,34),
elle comprit, à ce moment là, ce que le Père céleste attendait
d’elle : qu’elle
reprenne en son cœur les mêmes paroles.
Elle les dit. Elle pardonna en silence.
Le
silence de Marie à la Croix conserve, pour Dieu seul, le parfum du
sacrifice.
Il empêche la souffrance de se disperser, de rechercher et de
trouver ici-bas sa récompense. Marie se tait, « donnant à
l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de
son amour » (Lumen
Gentium, 58).
« Près
de la croix de Jésus se tenait Marie sa mère et près d’elle le
disciple qu’il aimait »
(Jn
19,25-26)
Se
tenir près de la croix « de
Jésus ».
Ces
mots nous disent que la chose à faire, la plus importante de toutes,
n’est pas de se tenir sous la croix en général, mais de se
tenir près de la croix « de Jésus ».
Ce qui compte n’est
pas notre croix mais celle du Christ. Ce n’est pas le fait de
souffrir, mais celui de croire et par là de faire sienne la
souffrance du Christ. Ce qui est premier c’est la foi. Ce
qu’il y eut de plus grand en Marie sous la croix, ce fut sa foi,
plus encore que sa souffrance.
L’apôtre Paul dit
que la parole de la croix est « puissance de Dieu et sagesse de
Dieu pour ceux qui sont appelés » et il dit que l’Évangile
est puissance de Dieu « pour tous ceux qui croient » (cf.
Rm 1,16).
Si nous devons nous
tenir comme Marie « près de la croix de Jésus », il
nous est nécessaire de connaître toujours davantage ce mystère de
la croix pour le revivre. Car la croix est ce qui, à la fois, sépare
et unit. Elle
sépare du monde pour unir à Dieu ;
elle soustrait à la corruption et unit entre eux ceux qui acceptent
d’être crucifiés avec le Christ, malgré toutes leurs diversités.
Enfin, malgré tout
ce que l’on peut dire du pouvoir de la Croix, la
Croix ne suffit pas à elle seule.
Le mystère pascal ne consiste ni dans la seule Croix du Christ, ni
dans sa seule résurrection, ni même dans les deux prises ensemble
successivement… Il
consiste dans le passage de l’une à l’autre, de la mort à la
vie, dans le passage « à travers la mort vers la gloire et le
royaume ».
Une image de Marie au
pied de la Croix, comme celle inspirée du Stabat
Mater,
où Marie n’est que « triste, affligée », où elle
n’est en somme que la Mère des douleurs, serait bien incomplète.
Or, si l’on peut
dire que Marie a vécu au Calvaire tout
le mystère pascal,
cela signifie qu’elle a été près
de la croix « en espérance ».
Qu’elle a partagé avec son Fils non seulement la mort, mais aussi
l’espérance
de sa résurrection.
Et c’est bien
toujours dans cet état d’esprit qu’il nous faut être quand nous
sommes sous la croix de Jésus.
Demandons ce matin au
Seigneur, par l’intercession de sa sainte Mère, Reine et Beauté
du Carmel, de nous établir dans une espérance toujours plus grande.
La plus belle grâce qu’il puisse nous donner sur cette terre et
dans laquelle Il désire nous établir, c’est la
grâce de toujours espérer en Lui. Amen.
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