Homélie du 02 juin 2019 - 7e Pâques
Frères
et sœurs, c’est un passage d’évangile très émouvant que nous proclamons ce
dimanche. Jésus prie pour l’unité.
Je retiendrai 3 points pour notre méditation ce matin :
Tout d’abord, l’unité à laquelle les
hommes sont tous appelés dans le Christ, puis l’unité de l’Eglise, enfin notre
unité intérieure.
Jésus,
la veille de sa mort, prie pour l’unité. Pourquoi à ce moment-là et de
manière si insistante ? De quoi sʼagit-il précisément ? Il ne propose pas une
simple absence de divisions, ni une harmonie ou une concorde sociale à la
manière humaine, même si cela constitue un bon début. Jésus parle dʼune réalité
beaucoup plus profonde que cela. Dieu est Un. Il nʼest pas individuel et
solitaire, il est Un parce quʼil réalise
parfaitement lʼunité de personnes distinctes mais totalement liées dans
lʼamour. Aucune de nos réalités humaines
ne peut rendre compte de cette unité et de cet amour, même si toutes sont
appelées à sʼen inspirer. Jésus est parfaitement uni au Père dans lʼEsprit ;
par lui et en lui, nous sommes appelés à entrer dans cette communion parfaite.
Nous nʼy sommes pas appelés seuls, chacun pour son compte : tous les hommes de
tous les temps y sont conviés, si bien que nous ne formons, au-delà des
apparences, quʼun seul corps…
Cʼest ce que la liturgie reprend
dans la 3e Prière eucharistique :
« Quand nous serons nourris de son corps et de
son sang, et remplis de lʼEsprit-Saint, accorde-nous dʼêtre un seul corps et un
seul esprit dans le Christ ».
Nous
découvrons en nos frères non seulement lʼimage de Dieu, mais un membre de ce corps que nous formerons en
plénitude dans le Christ, à la fin des temps, et que nous formons déjà
mystiquement lorsque nous vivons cette réalité. Cʼest tout cela quʼenseigne le
Christ aux apôtres dans lʼintimité du Cénacle, comme un testament spirituel.
Cette
unité profonde nʼest pas une sympathie, un lien, cʼest beaucoup plus
profondément le partage de la même vie, puisée éternellement à la même source,
le Christ. Ce nʼest donc pas un sentiment, lʼadhésion commune à une croyance,
mais la participation à une même nature, une même essence, celle de lʼhumanité transfigurée en Jésus-Christ. Car cette union,
nous ne pouvons la réaliser par nous-mêmes, cʼest le Christ, unique médiateur,
qui nous donne dʼêtre vraiment unis au Père et vraiment frères au sens
spirituel du terme.
Le
texte dʼaujourdʼhui nous interroge donc doublement. Dans notre relation à Dieu
dʼabord. Ai-je le désir de ne faire quʼun avec Dieu, pas seulement de vivre en
sa présence, mais dʼêtre uni définitivement et irrévocablement à lui ? La
théologie nous enseigne que les personnes de la Trinité nʼont pas dʼaction
propre « ad extra », elles agissent toujours ensemble. Jésus a totalement fait la volonté du Père. Il ne sʼest rien réservé et
cʼest pour cela quʼil peut être glorifié. Est-ce ainsi que je souhaite
vivre avec Dieu, ou bien je me réserve une certaine distance pour garder mon
autonomie ? Quʼest-ce que je nʼai pas encore donné à Dieu, quʼest-ce que je lui
refuse ?
Notre
relation aux autres est totalement conditionnée par cette vision des choses. Dieu mʼa appelé à vivre en union avec lui,
en Jésus, et il a aussi appelé tous mes frères à la même réalité spirituelle.
Dans lʼéternité bienheureuse, je ne ferai plus quʼun, non seulement avec ceux
que jʼai aimés, mais avec tous les hommes de tous les temps. Cʼest une
perspective extraordinaire mais qui demande, dans cette vie, une véritable
conversion. Cʼest dans le Christ que
nous serons un. Est-ce que jʼaime mes proches « dans le Christ »,
c'est-à-dire, dʼun véritable amour qui vient de lui, qui nʼest basé ni sur une
origine commune, le sentiment, lʼattirance, le profit personnel, le confort
dʼune affection purement humaine ? Est-ce que je les aime pour moi-même ou dans
le respect de la présence de Dieu en eux ?
Dans
le mariage, la relation filiale ou fraternelle, dans lʼamitié, je suis appelé à découvrir avant tout un
frère qui est en route avec moi vers la gloire de Dieu ; il a été créé
dʼabord pour Dieu, comme moi. Est-ce que ma manière de me comporter avec mon
conjoint, mes enfants, mes proches, mes frères de communauté, est empreinte de
cette vision et respecte profondément le mystère de leur relation au créateur
et le projet dʼamour de Dieu sur eux ? Je suis en route vers le Ciel. Sur ce
chemin, jʼai la joie dʼêtre accompagné par des personnes proches mais il y a
aussi, tout autour, une foule dʼautres frères en marche vers moi, que je nʼai
pas expressément choisis mais que Dieu mʼa donnés comme compagnons de route.
Est-ce que jʼai le cœur ouvert aux inconnus, aux malheureux ? Je nʼai pas à
décider parmi eux qui me plaît et qui me déplaît. Ils sont tous mes frères. Tous ceux qui entrent dans ma vie, même
ceux qui me persécutent, me sont mystérieusement donnés par Dieu. Est-ce
que je les reçois comme tels ? Est-ce je sais supporter, pardonner, prier pour
eux, dans lʼespérance de partager un jour avec eux la vie de Dieu, dans une
relation purifiée ? Ai-je des préventions manifestes contre certains frères,
certains groupes humains, sociaux, religieux ou ethniques ? Dans le Christ,
cela nʼest pas possible… Cette conscience de lʼunité du genre humain est à la
base de lʼévangélisation et a pu conduire certains hommes à donner leur vie.
Unité de lʼÉglise
Au
soir de sa vie, Jésus prie tout particulièrement pour lʼunité des croyants. Non
pas parce que lʼÉglise constituerait une élite privilégiée, et que Jésus ne
sʼintéresserait pas aux autres, mais parce quʼelle est le noyau primordial de la communion universelle, une
réalité ouverte, appelée à sʼétendre à
toute lʼhumanité. Il est émouvant dʼentendre Jésus prier pour les croyants
des temps à venir : à cet instant-là, il nous a tous embrassés du regard : il a
pensé à vous et à moi, à chaque homme, à chaque femme. Il a prié le Père pour
que nous restions unis. Comment répondons-nous à cet appel ? Avons-nous à cœur
de garder lʼunité dans nos familles, nos communautés ? Cela est essentiel. Quoi
que nous ayons souffert, et ce peut être très lourd parfois, nous sommes
appelés à pardonner et, si possible, à retisser la relation.
Nos
querelles ont souvent pour source lʼorgueil ou lʼintérêt matériel. Cʼest un
contretémoignage manifeste pour le monde. De
même nos critiques des frères chrétiens séparés ou de la hiérarchie de lʼÉglise.
À chaque fois que nous nous y prêtons, nous faisons obstacle à cette prière du
Christ pour lʼunité. En tombant dans ce piège, nous faisons le jeu de Satan,
qui sort renforcé de nos divisions. Nous pouvons avoir des différends, il ne
sʼagit pas de le nier. Mais nous devons davantage
prier et garder le lien de la charité et de lʼunité. Comme nous y exhorte
saint Paul : « Ayez même sentiment ; vivez en paix, et le Dieu de la charité et
de la paix sera avec vous » (2Co 13,11). Le thème de lʼÉvangile, lʼunité, et la
scène des Actes, le martyre dʼÉtienne, nous suggèrent naturellement de méditer
sur ces nombreux chrétiens qui ont donné leur vie pour lʼunité de lʼÉglise,
comme martyrs pour la communion ecclésiale…
Dans
lʼoptique de cette communion ecclésiale, le pape François utilise souvent une
nouvelle expression : « lʼœcuménisme du sang ». Les persécutions modernes
touchent tous les chrétiens, quelle que soit leur confession ; le sang versé
par chacun nʼappartient pas à une chapelle ou une dénomination, mais il sʼunit
dans un seul témoignage éclatant dʼamour envers le Christ, qui transcende les
divisions entre nous.
Lʼhistoire
de lʼÉglise est parsemée de querelles théologiques qui ont parfois servi de
prétextes à dʼépouvantables violences ; mais si nous fixons notre attention sur
cet œcuménisme du sang, nous découvrons une communion réelle qui remet à leur
juste place les débats théologiques : lʼamour de la vérité ne doit pas conduire
à lʼidéologie, mais être au service de la communion…
Unité intérieure.
Enfin,
frères et sœurs, j’aborde mon 3e point : notre unité
intérieure.
Si
tant de Saints ont œuvré pour lʼunité de lʼÉglise, et si les martyrs donnent la
preuve suprême de leur attachement au Christ, cʼest quʼils sont dʼabord habités
par Lui, et que lʼEsprit a accompli en leur personne une œuvre admirable
dʼunification. Ainsi se réalise la parole de Jésus que nous venons de proclamer
: « Pour que lʼamour dont tu mʼas aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois
en eux » (Jn 17,26). La force qui soutient Étienne lors de son martyre le
montre bien : cʼest le Christ qui revit
en lui sa Passion. Cela nous renvoie à lʼimportance dʼune autre unité, celle de lʼhomme intérieur. Nous naissons
avec la brisure du péché originel, qui introduit une division profonde en notre
être. Saint Paul lʼexprime ainsi : « Je ne fais pas le bien que je veux et
commets le mal que je ne veux pas » (Ro 7,19) ; lʼEsprit se met donc à lʼœuvre
en notre âme, pour nous conduire à Dieu, en reconstituant lʼunité perdue pour que nous apprenions à aimer en vérité.
Le chemin de lʼunité est simple : le respect des commandements, non pas les
nôtres ou ceux de la société, mais ceux de Dieu qui nous apprennent comment aimer, et nous conduisent à la pratique des
vertus.
Un dernier aspect de la prière de
Jésus mérite dʼêtre médité : la gloire. « Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis,
eux aussi soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire » (Jn 17,24) : la
gloire que nous contemplerons au Ciel ne sera pas « seulement » celle de Jésus,
mais aussi des martyrs et des saints. Ce sera aussi la nôtre. Nous nous réjouirons de cette parfaite
communion dʼamour, héritage des bienheureux.
Ecoutons
saint Thomas dʼAquin la décrire : « La vie éternelle consiste [aussi] dans la
société pleine de charmes de tous les bienheureux. Les délices de cette société
seront extrêmes. Chaque élu, en effet, possédera, avec les autres bienheureux,
tous les biens ; car il aimera chacun des bienheureux comme lui-même ; cʼest
pourquoi il se réjouira du bien des autres comme de son bien propre. Aussi
lʼallégresse et la joie de tous les élus sʼaugmenteront-elles de la joie et de
lʼallégresse de chacun dʼentre eux. »
Alors,
frères et sœurs, une semaine nous sépare de la solennité de la Pentecôte où
l’Esprit Saint viendra à nouveau raviver ses dons en chacun de nous. Préparons
nos cœurs durant cette semaine par de petits actes très concrets de charité
fraternelle afin que notre union au Christ s’approfondisse en nous pour notre
sanctification personnelle, pour le bien de toute l’Eglise et pour le monde.
Amen.
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