Homélie du 24 février 2019 - 7e TO


     Frères et Sœurs, en ce 7e dimanche du temps ordinaire, nous continuons de suivre l’enseignement de Jésus. Après son discours inaugural de Nazareth, trois dimanches nous sont proposés pour approfondir la doctrine du nouveau Maître. Sa Parole est si novatrice qu’elle frappe les foules et les pousse à le suivre avec enthousiasme. Nous avons commencé dimanche dernier par entendre la proclamation des béatitudes (v.17-26) ; nous venons d’entendre aujourd’hui l’illustration de la loi évangélique de l’amour des ennemis (v.27-38) ; et nous entendrons une suite de petites paraboles sur la vie spirituelle dimanche prochain.
      La liturgie a choisi de nous présenter, en première lecture, l’exemple de David qui renonce à tuer son ennemi Saül (1Sm 26). Un comportement en apparence noble et admirable : mais s’agit-il d’une illustration de la loi évangélique ? La loyauté de David, qui refuse de porter la main sur le roi Saül, nous permettra de mieux saisir la nouveauté du dis­cours de Jésus.
      Nous connaissons depuis bien longtemps cette histoire des deux premiers rois d’Israël.  La figure de Saül a un côté pathétique ; Saül souffre d’accès de folie meurtrière à l’encontre de David qu’il apprécie humainement mais qu’il considère aussi comme un successeur potentiel au trône d’Israël et donc comme son rival. Ce comportement de Saül oblige David à se sauver pour se protéger.
      L’attitude de David envers Saül semble empreinte de grande noblesse. Il refuse par deux fois de suivre les conseils de ses hommes de guerre qui voudraient assassiner Saül… Pourquoi agit-il ainsi ? L’âme de David est ha­bitée par la crainte du Seigneur, il éprouve une terreur sacrée à l’idée de tuer celui qui est l’Oint du Seigneur qu’est Saül, en d’autre terme : le Messie… David n’agit donc pas par pitié pour Saül mais par crainte de Dieu, et aussi par intérêt personnel.
      Car David, lui aussi, a reçu l’onction (chap. 16) : tout le drame de cette partie du livre de Samuel est bien dans cette confrontation entre deux Messies, Saül le roi déchu et David le roi en devenir…
      Les paroles de David montrent donc à la fois sa grandeur d’âme et sa profonde crainte de Dieu, puisqu’il épargne l’Oint du Seigneur, mais aussi les limites de sa vertu : point de pardon ni de réconciliation possibles, mais seulement le désir de laisser à Dieu le soin de la vengeance contre son ennemi. Il faudra encore quelques siècles d’éducation divine pour qu’Israël puisse recevoir la révélation définitive sur Dieu par Jésus : « Il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants... Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6,35-36).
      Il est temps maintenant de nous pencher de plus prêt la « loi d’amour » que nous donne Jésus aujourd’hui. Dimanche dernier, Jésus a commencé son enseignement par ces affirmations assez paradoxales que sont les « Béatitudes et Malédictions », et voici que résonne, ce dimanche, la « règle d’or » des rapports avec le prochain : « Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux » (Lc 6,31).
Ce joyau qu’est la « règle d’or », Jésus l’enserre dans un discours bien articulé, que nous allons méditer : il comporte trois illustrations de la règle (faites du bien.), trois ordres di­rects (présente l’autre joue.), trois interpellations (quelle reconnaissance méritez-vous ?), et finalement la perspective du Père miséricordieux qui éclaire le tout. Ce discours bien char­penté permet à la « règle d’or » de briller dans les ténèbres de l’égoïsme, et d’illuminer la conscience des chrétiens de tous les temps.
Jésus est conscient de l’exigence de cette nouvelle doctrine. Il ne s’adresse donc pas à tout le monde, mais à ceux qui ont déjà commencé à accueillir son message et à mettre leur confiance en lui, comme envoyé de Dieu. Il faut, en effet, avoir déjà amorcé une conversion pour pouvoir entendre ce qui suit : « Je vous le dis, à vous qui m’écoutez » (v.27)…
L’enseignement moral de Jésus commence par une exigence très forte, avec une ex­pression qui est presque un oxymore : « Aimez vos ennemis » (v.27). Pour qu’elle ne reste pas un slogan vide de contenu, Jésus la remplit immédiatement en détaillant les do­maines de cet amour, par une succession d’impératifs : « Faites du bien... Souhaitez du bien... Priez pour... ». Il ne s’agit pas de bons sentiments mais d’attitudes concrètes. Les destinataires sont également précisés : il ne s’agit pas de ceux que l’on n’aime pas, ou avec qui l’on a quelques différends, mais de ceux qui, concrètement, veulent notre mal, ceux qui activement me nuisent, « mon ennemi » : « ceux qui vous haïssent... ceux qui vous maudis­sent,... ceux qui vous calomnient ». On notera l’importance de la parole dans cette première partie : saint Luc avait certainement en tête les innombrables diffamations, moqueries et condamnations subies par les premières communautés chrétiennes, comme en témoigne le livre des Actes des Apôtres. Dans ces circonstances, les premiers chrétiens devaient vraiment se conduire « comme des agneaux au milieu de loups » (Lc 10,3).
Jésus donne ensuite quatre illustrations choisies pour leur aspect concret, qui frappent les imaginations et donc en appellent au discernement moral de l’auditoire : « À celui qui te frappe sur une joue... qui te prend ton manteau... qui te demande... qui prend ton bien » (vv.29-30). Jésus recommande alors de faire exactement l’opposé de ce que la réaction na­turelle ou spontanée nous inspire : ne pas répondre à la violence par la violence, mais par la douceur ; ne pas rentrer dans la logique de la propriété égoïste, fût-elle légitime, mais du par­tage généreux...

Arrivé au point culminant de son discours, Jésus énonce la « règle d’or ». Elle n’est pas une simple exhortation à la sagesse, un bel idéal prôné par un maître rêveur mais peu réa­liste ; elle est au contraire une manière concrète de vérifier la réalité de notre charité. Si Jé­sus peut la proclamer comme une véritable loi pour son disciple, c’est que lui-même donne à ce disciple la paix et la force nécessaires pour la mettre en pratique, et parce qu’il l’a lui-même vécue jusqu’à son expression extrême : donner sa vie pour ceux qui l’ont rejeté et leur pardonner
Viennent alors trois motivations profondes pour convaincre le chrétien de pratiquer cette loi : « Si vous aimez ceux qui vous aiment... Si vous faites du bien... Si vous prêtez... » (vv.32-34). Jésus veut provoquer un sursaut moral chez le bien-pensant, celui qui s’installe confortablement dans ses bonnes œuvres et se croit justifié alors qu’il obéit simplement à un échange de bonnes manières entre gens de même compagnie…

Or l’évangile va plus loin, car il ne part pas des capacités naturelles de l’homme mais de l’amour infini de Dieu. Jésus invite à aimer non comme les hommes mais comme Dieu aime, c'est-à-dire sans lien avec le comportement de nos semblables, dans un esprit de gratuité et non de réciprocité. Par trois fois l’apostrophe de Jésus est un défi lancé à notre embourgeoi­sement toujours possible : « Quelle reconnaissance méritez-vous ? Même les pécheurs en font autant. ».

Si le chrétien est véritablement converti par la personne du Christ, comment son agir moral ne pourrait-il pas s’en trouver bouleversé ? Comment refusera-t-il de se comporter comme son Maître qui, « de riche qu’il était, s’est fait pauvre afin de nous enrichir par sa pauvreté » (2Co 8,9) ? …

Au début de sa vie publique, Jésus préfère donc élever le regard des foules vers ce qui est essentiel : le juge­ment qui viendra, et le Père miséricordieux.

Remarquons bien ici que l’argument de Jésus change de nature : il s’agit désormais de se comporter en cette vie se­lon la mesure qu’emploiera le Seigneur pour nous peser : celle de la miséricorde. Dieu est miséricordieux et nous jugera avec miséricorde, si nous acceptons de nous placer sous le règne de la miséricorde. Si nous préférons la stricte justice pour les autres, elle s’appliquera aussi à nous et nous serons condamnés car, comme le dit le psaume : « N’entre pas en ju­gement avec ton serviteur ; aucun vivant n’est juste devant toi » (Ps 143). Saint Jacques ré­sume cela en disant : « car le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséri­corde, mais la miséricorde l’emporte sur le jugement ».

Frères et sœurs, si nous devenons enfants de Dieu par le baptême, alors notre comportement doit imiter Celui qui est notre Père, et qui est « riche en miséricorde » (Ep 2,4) ; ce Père viendra un jour récolter sur l’arbre de notre cœur ces fruits qu’Il a lui-même suscités, les bonnes œuvres : ce sera le moment du jugement. Or la bonne œuvre par excellence c’est la charité dont l’apôtre Pierre dit qu’elle « couvre une multitude de péchés » (1P 4, 8). Comme aucune charité humaine n’est parfaite, Dieu nous pardonnera nos manquements, si nous-mêmes avons pardonné à nos propres frères…
Ecoutons, à ce propos, Saint Augustin qui nous invite à combattre nos péchés et nous exprime bien comment le cœur humain doit se modeler sur le cœur divin :

« Conformons-nous donc à ce divin modèle et imitons Dieu qui nous a manifesté son amour et sa vérité... Soyons bons envers les malades, les pauvres et même envers nos ennemis. Vivons dans la vérité en évitant de faire le mal. Ne multiplions pas les péchés, car celui qui présume de la bonté de Dieu, laisse s'introduire en lui la volonté de rendre Dieu injuste. Il se figure que, même s'il s'obstine dans ses péchés et refuse de s'en repentir, Dieu viendra quand même lui donner une place parmi ses fidèles serviteurs. Mais serait-il juste que Dieu te mette à la même place que ceux qui ont renoncé à leurs péchés, alors que tu persévères dans les tiens ? Veux-tu être injuste au point de rendre Dieu injuste ? Pourquoi donc veux-tu plier Dieu à ta volonté ? Soumets-toi plutôt à la sienne. » (Homélies sur les Ps - Ps 60,9)

Enfin, frères et sœurs, soulignons que la perspective du jugement est très positive sur les lèvres de Jésus… Le Père céleste ne sera pas avare, mais au contraire généreux et large dans ses bontés : « c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement » (v.38). En réalité, Dieu qui donne toujours à profusion, nous comblera bien au-delà de nos mérites et de nos attentes. Jésus creuse ainsi le désir de la sainteté chez les âmes qui l’écoutent : cette récompense qui nous est promise sera la vie divine elle-même, la communion pour toute l’éternité à l’amour du Père pour le Verbe... Le cœur humain en se­ra comblé dans toute la mesure de sa capacité : la vie sur terre, frères et sœurs, est donc le délai qui nous est accordé pour augmenter cette capacité, et susciter chez notre Père du Ciel une générosité plus grande encore !

Pour nous y aider ce matin, faisons nôtre cette belle prière donnée aux Scouts par le Père Sevin :

« Seigneur Jésus apprenez-nous à être généreux, à vous servir comme vous le méritez, à donner sans compter, à combattre sans souci des blessures, à travailler sans chercher le repos, à nous dépenser sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons votre sainte volonté. »     AMEN.

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