Homélie du 10 février 2019 - 5e TO


            Frères et Sœurs, après la « scène inaugurale » à la synagogue de Nazareth (semaine dernière), nous voici plongés au cœur de la vie publique de Jésus : il vient de réaliser un exorcisme à Capharnaüm (cf. 3,34), de guérir la belle-mère de Simon, et dʼenseigner les foules. Après avoir été rejetés par ses concitoyens, Jésus veut désormais sʼentourer de personnes soigneusement choisies, pour les former comme Apôtres : Simon-Pierre est le premier, entraînant avec lui  les fils de Zébédée ; bientôt le groupe sera structuré avec douze Apôtres (6,12) et un cercle plus large de disciples. Ils sont la « nouvelle famille » de Jésus, lʼembryon du Royaume (les prémices de l’Église naissante). Témoins des miracles et exorcismes du Maître, ils seront formés à lʼécole des Béatitudes (6,20).
            Que retenir des lectures que nous venons d’entendre ?
            De prime abord, les contextes de la première lecture et de lʼévangile semblent très différents :
·         Isaïe se trouve dans le lieu le plus sacré de Jérusalem, le Temple, tandis que le lac de Tibériade est à la périphérie dʼIsraël ;
·         le chapitre 6 dʼIsaïe sʼouvre directement sur la théophanie, tandis que le chapitre 5 de Luc débute par une prédication de Jésus.
            Mais un détail attire notre attention : lorsque l’évangéliste décrit les foules qui se pressent autour du Maître, Luc note quʼils voulaient « écouter la parole de Dieu » (Lc 5,1) : cette parole que le Seigneur voulait adresser à son peuple à travers le prophète Isaïe, la voilà qui apparaît sur les lèvres de Jésus. La médiation de Moïse est abrogée, lʼépoque des prophéties est terminée : avec le Christ, Dieu parle directement au cœur de ses fidèles. À la Samaritaine, Jésus ira jusqu’à dire que le temps est venu où lʼon nʼadorera plus ni sur le Garizim ni à Jérusalem, mais en esprit et en vérité… grâce au mystère de sa personne.
            Enfin, notons aussi la manière dont l’évangéliste Luc nous livre cette page d’évangile : pressé par les foules, Jésus a dû improviser  un espace de parole à distance pour faire entendre son message. Il se tient sur la barque de Simon-Pierre et les foules sont sur le rivage, cʼest sa parole qui relie les deux groupes. Cette scène est une image de lʼÉglise : Dieu nous y adresse sa parole depuis le Ciel tandis que nous restons sur terre comme les foules retenues sur le rivage ; Il le fait par la médiation de Jésus, Dieu fait homme, présent dans son Église, comme dans la barque de Pierre. Nos visages sont tournés vers le Christ, objet de toute notre espérance, comme les auditeurs jadis fascinés par lʼenseignement du nouveau Maître. Il nous faudra  attendre le chapitre suivant, avec les Béatitudes, pour connaître le contenu de cet enseignement (Lc 6).
            Après ce long ministère de la Parole, Jésus se consacre à Simon-Pierre en jugeant que le moment est venu de lʼappeler. Sa « vocation » dʼapôtre le met naturellement dans la lignée des hommes de Dieu comme Moïse et Isaïe. Moïse est dʼabord témoin dʼune théophanie : au lieu du buisson qui ne se consume pas (Ex 3) et Isaïe, de la vision du Seigneur sur le trône dans le Temple de Jérusalem (Is 6) ; pour Pierre, cʼest le miracle de la pêche surabondante et il ne sʼy trompe pas, et éprouve le même effroi que ses prédécesseurs : Pierre ressent profondément la grandeur de Dieu agissant en Jésus, et son indignité. La lumière du Christ est tellement puissante quʼelle révèle tout à coup ses ténèbres à lʼâme pourtant généreuse de Pierre.
            Et c’est ainsi que le catéchisme l’explique : « Devant la présence attirante et mystérieuse de Dieu, lʼhomme découvre sa petitesse. Devant le buisson ardent, Moïse ôte ses sandales et se voile le visage face à la Sainteté Divine. Devant la gloire du Dieu trois fois saint, Isaïe sʼécrie : " Malheur à moi, je suis perdu ! Car je suis un homme aux lèvres impures " (Is 6, 5). Devant les signes divins que Jésus accomplit, Pierre sʼécrie : " Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un pécheur " (Lc 5, 8).
            Mais parce que Dieu est saint, Il peut pardonner à lʼhomme qui se découvre pécheur devant lui : " Je ne donnerai pas cours à lʼardeur de ma colère (...) car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis le Saint " (Os 10, 9). Lʼapôtre Jean dira de même : " Devant lui nous apaiseront notre cœur, si notre cœur venait à nous condamner, car Dieu est plus grand que notre cœur, et Il connaît tout " (1 Jn 3, 19-20). »
            Pour réaliser cette grande œuvre de la sanctification de lʼhumanité, le Christ veut avoir besoin de Pierre : il se présente donc au bord du lac, lʼappelle et lʼarrache à ses filets. Lʼévangile de ce dimanche nous montre aussi lʼaspect collectif de cet appel : avec Simon se trouvent « Jacques et Jean, les fils de Zébédée », qui ont assisté au miracle et se mettent eux aussi en marche dans lʼaventure de lʼévangile : « Ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent » (Lc 5,11). Cette scène se répète de génération en génération lorsque lʼappel à suivre Jésus de plus près retentit dans le cœur dʼun jeune…
            Dans ce mystère de l’appel à suivre le Christ dans la vie consacrée, il est très fréquent que se répète la réaction effrayée de Simon : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur »… Et, nous pourrions légitimement nous demander : si la mission est si sublime, pourquoi le Seigneur choisit-il des instruments si faibles ?
            Voici une réponse que donnait Saint Augustin à ses chrétiens d’Hippone :
            « Car si le Christ avait choisi en premier lieu un orateur, l'orateur aurait pu dire : "J'ai été choisi pour mon éloquence". S'il avait choisi un sénateur, le sénateur aurait pu dire : "J'ai été choisi à cause de mon rang". Enfin, s'il avait choisi un empereur, l'empereur aurait pu dire : "J'ai été choisi en raison de mon pouvoir". Que ces gens-là se taisent, qu'ils attendent un peu, qu'ils se tiennent tranquilles. Il ne faut pas les oublier ni les rejeter, mais les faire attendre un peu ; ils pourront alors se glorifier de ce qu'ils sont en eux-mêmes. "Donne-moi, dit le Christ, ce pêcheur, donne-moi cet homme simple et sans instruction, donne-moi celui avec qui le sénateur ne daigne pas parler, même quand il lui achète un poisson. Oui, donne-moi cet homme. Certes, j'accomplirai aussi mon œuvre dans le sénateur, l'orateur et l'empereur. Un jour viendra où j'agirai aussi dans le sénateur, mais mon action sera plus évidente dans le pêcheur. Le sénateur, l'orateur et l'empereur peuvent se glorifier de ce qu'ils sont : le pêcheur, uniquement du Christ. Que le pêcheur vienne leur enseigner l'humilité qui procure le salut. Que le pêcheur passe en premier. C'est par lui que l'empereur sera plus aisément attiré." »
            Saint Augustin nous montre bien que la pauvreté humaine du pêcheur quʼétait Simon a permis à la puissance divine de se déployer :
            Enfin, frères et sœurs, le passage de ce dimanche ne nous parle pas seulement de lʼÉglise ou des personnes appelées à la vie sacerdotale ou religieuse. Il parle de la vie spirituelle de chacun dʼentre nous. Chacun de nous, en effet, passe par les trois étapes que Pierre parcourt dans cette scène dʼévangile : Jésus nous rejoint dʼabord là où nous sommes, nous découvrons son histoire et sa parole. Nous le découvrons en groupe avec dʼautres et il vient toucher notre cœur sans que nous le connaissions encore vraiment. Puis, Il sʼadresse à nous plus intimement et sollicite notre confiance. Nous voyons alors son œuvre se déployer dans notre vie et nous sommes saisis de crainte : oui, Dieu est vraiment là, il agit avec puissance et nous ne sommes pas à la hauteur. Pourtant – et cʼest la troisième étape – Il nous appelle à son service et nous rassure. Nous partons annoncer le règne de Dieu à nos frères. La Samaritaine rencontrée au bord du puits (Jn 4) en est une bonne illustration.
            Ce dimanche peut être pour nous lʼoccasion dʼune anamnèse : nous pouvons, dans la méditation, identifier ces trois étapes dans notre vie personnelle et rendre grâce. Nous pouvons également demander la faveur de reconnaître toujours, comme Pierre, sa présence sainte dans nos existences, et de répondre à son appel dʼétendre le règne de Dieu autour de nous.                                    Amen.

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