Homélie du 24 juin 2018 - Solennité de St Jean-Baptiste


            Il y a quelques années, frères et sœurs, le Pape François, lors d’un 24 juin avait parlé de la triple mission de Jean Baptiste, en les exprimant en trois mots, trois verbes : préparer, discerner et diminuer.
            Dans ces 3 verbes est contenue l’expérience spirituelle de Jean-Baptiste, celui qui a précédé la venue du Messie « en prêchant un baptême de conversion » au peuple d’Israël. Et le St Père a voulu re-proposer ce trinôme comme modèle de la vocation de tout chrétien.
            Permettez-moi ce matin de repartir de ce triptyque : préparer, discerner et diminuer.

Préparer
            Jean-Baptiste vient clore le cycle multiséculaire des prophètes. Après lui, plus aucun prophète ne s’est jamais levé dans l’histoire d’Israël. La raison en est simple : juste derrière Jean, vient Jésus, le Verbe incarné, la Parole définitive de Dieu.
            Ainsi, Jean appelle à la conversion comme tous ses prédécesseurs, mais il est le seul prophète de l’histoire juive à ne pas délivrer de message personnel. Son message est une personne. Ce message, en quelque sorte, reste en suspens jusqu’aux débuts de la prédication de Jésus ; lui-même ne le connaît que partiellement : toute sa mission est d’être un doigt tendu vers le Sauveur qui vient. Ce qu’il sait et dit, c’est que l’attente des hommes est arrivée à son terme. Dieu va visiter son peuple d’une manière toute nouvelle et celui qui vient est d’une bien autre envergure que les Prophètes de l’ancien temps.
            Cela, Jean-Baptiste ne l’explique pas, mais il le voit très clairement. Cette contemplation voilée du mystère explique ce que Jésus dit de Jean : « parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui » (Mt 11, 11). De fait, ceux qui, après Jean, découvriront et professeront Jésus, Fils de Dieu, livré pour les hommes, en savent plus que Jean.
            La mission de Jean consiste à préparer la route à Jésus. Cela, il le fait de manière radicale. Lui-même vit dans la solitude depuis sa jeunesse, n’obéit qu’à la voix de Dieu, jeûne et pratique une ascèse rigoureuse qui provoque étonnement et critique : « Jean le Baptiste est venu en effet ; il ne mange pas de pain, il ne boit pas de vin et vous dites : c’est un possédé ! » (Lc 7, 33).Vivant avant l’heure la pauvreté, la chasteté et l’obéissance, Jean nous interpelle encore aujourd’hui : si nous sommes consacrés, quel est notre degré de renoncement et d’ascèse ? Si nous sommes laïcs, avons nous à cœur de vivre et témoigner de Jésus, notre vie exprime-t-elle la mesure et la sobriété qui s’imposent ?
            Cette radicalité, Jean l’exige en effet de ceux qui sont venus l’écouter et recevoir le baptême : « Produisez donc des fruits qui expriment votre conversion (…) Celui qui a deux vêtements qu’il partage avec celui qui n’en a pas (…) N’exigez rien de plus que ce qui vous est fixé. Ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort et contentez-vous de votre solde » (Lc 3, 11-14). Et à Hérode : « Tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton frère » (Mc 6,18).
            Comment entendons-nous aujourd’hui ces appels ? Dans quelle mesure vivons-nous le partage et la justice ? Quel témoignage donnons-nous sur le mariage ? Sommes-nous facteurs de réconciliation dans nos familles, notre entourage,  notre société ?
            Jean proclame aussi le jugement qui vient. Il ne sait probablement pas comment le salut va s’accomplir mais il rappelle à l’homme qu’il va devoir rendre compte de sa vie. Celui qui vient exigera une claire prise de position : « Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu » (Lc 3, 9). Les paroles de Jean sont un appel à nous préparer sans cesse à recevoir Dieu chaque jour dans un cœur purifié, dans la perspective de la rencontre du dernier jour .

Discerner

            Jean est une voix dérangeante mais c’est aussi un contemplatif. Pendant longtemps, il ne connaît pas le mystère de Jésus, bien qu’il soit son cousin éloigné. Mais le jour venu, il le reconnaît immédiatement car Dieu le lui révèle : « Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit-Saint » (Jn 1, 33). Si Jean reconnaît Jésus, c’est qu’il est habitué à vivre en communion avec Dieu.


            Jean nous appelle à contempler le mystère de Dieu pour le connaître chaque jour davantage. On ne prie pas parce que l’on comprend déjà les mystères de Dieu ; on prie pour y entrer, avec la faveur du Seigneur. Il n’y a pas d’autre voie que la méditation, qui conduit à la contemplation, pour être peu à peu imprégnés des mystères de Dieu. Les scribes et chefs des prêtres, qui connaissaient et enseignaient la Loi et les Prophètes, n’ont pas reconnu le Christ. Pour Jean, au contraire, cette reconnaissance fut immédiate, car il avait de Dieu cette connaissance intime qui dépasse la compréhension intellectuelle et permet de recevoir la lumière de la foi. Quelle est la place de la méditation de la Parole et de la contemplation dans nos vies ?
            C’est parce que Jean médite et contemple longuement au désert qu’il reconnaît Jésus et le désigne aux autres…           Avec l’apparition de Jésus, l’appel à la conversion de Jean arrive à son terme : il a préparé ses disciples et la foule à recevoir celui qui est la Parole ; il l’a désigné par sa parole et par sa vie. Nous-mêmes, avons-nous à cœur d’annoncer le Christ ? Ou bien le gardons-nous pour nous-mêmes par manque de courage, ou parce que le mystère nous dépasse comme il dépassait Jean ? Discernons-nous, pour nous et pour les autres, sa présence au quotidien dans les événements ? « Moi je baptise dans l’eau mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas… » (Jn 1, 26)

Diminuer
            Le génie de Jean est d’avoir perçu l’infinie grandeur de Celui qu’il annonçait. On sent combien cette grandeur le touche et l’écrase en même temps : « Je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales » (Jn 1, 27). « Jean voulait l’en empêcher et disait : c’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! » (Mt, 14).
            Aussi, dès qu’il a désigné le Sauveur, se retire-t-il en lui abandonnant ses disciples. À ceux qui s’offusquent de voir Jésus lui faire de l’ombre, il répond : « Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux et il est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite » (Jn 3, 29).
            « Lui, il faut qu’il grandisse, et moi que je diminue » (Jn 3,30) . Les prêtres et les consacrés parmi nous se reconnaîtront tout particulièrement dans cet effacement joyeux de Jean. Mais tous les chrétiens sont appelés, dans une certaine mesure, à disparaître derrière le Christ pour qu’Il prenne toute la place dans la vie d’autrui. C’est parfois difficile de laisser partir des enfants, des élèves, de quitter des charges, de laisser les œuvres que nous avons mises en place. C’est pourtant ce qui nous est demandé car notre seule récompense c’est que le Christ soit connu et aimé.
            La suite est tragique. Jean est fait prisonnier et réduit au silence tandis que Jésus inaugure son ministère. Seul, dans sa prison, il est assailli de doutes. C’est la nuit de la foi plus terrible que celle des sens. Il ne sait plus. Ce qu’on lui rapporte de Jésus ne lui semble plus conforme à ce qu’il attendait. Sans se résigner, il fait interroger Jésus par ses disciples : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 3). Et Jésus le rassure très concrètement en le renvoyant aux prophéties qui annoncent le Messie. Il l’invite à persévérer dans la foi, jusqu’à l’héroïsme :
            « Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! » (Mt 11,5-6)
            Ces paroles sont pour nous aussi : aux heures de doute et de l’épreuve nous sommes invités à nous souvenir de tout ce que Dieu a fait et fait encore et à persévérer dans la foi.
            Dès lors, Jean n’a plus qu’à donner sa vie. En apprenant sa mort, Jésus est si bouleversé qu’il se retire pour prier et sans doute pleurer son cousin et ami (Mt 14, 13).
            Jean-Baptiste est un maître spirituel pour nous tous. Il s’est totalement effacé mais il demeure le Précurseur. Lorsque nous nous sentons distraits, secs ou sans enthousiasme ; lorsque nous sommes las d’annoncer le Christ ou que le doute nous saisit, nous pouvons l’invoquer. Jésus ne cesse de venir.             Demandons à Jean-Baptiste de préparer nos cœurs à la prière, à la messe, à l’annonce de l’évangile ; de nous aider à nous convertir et à reconnaître Jésus qui passe au milieu de nous.            AMEN.


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