Homélie du 08 avril 2018 - 2e Dim de Pâques (Divine Miséricorde)


Frères et sœurs, pour approfondir lʼévangile de ce dimanche, il est utile de le replacer dans le contexte du chapitre 20 de l’évangéliste Jean.
Ce chapitre se déroule sur une seule journée. La première scène nous montre, au matin de Pâques, Marie Madeleine qui se rend au tombeau et le trouve vide. Elle conclut simplement que le corps a été volé. Elle court trouver les apôtres ; une deuxième scène présente Pierre et Jean se rendant au tombeau, à leur tour, et trouvant les linges mortuaires rangés ; cela suffit à Jean pour croire. Tandis que les deux hommes repartent, Marie-Madeleine reste sur place et continue de chercher Jésus en pleurant. Elle voit dʼabord deux Anges, mais ne comprend toujours pas. Au contraire, elle sʼenfonce dans la douleur : il est mort et son corps a été dérobé. Jésus lui-même lui apparaît et la console. Elle part annoncer la résurrection aux disciples.
On ne connaît pas leur réaction, mais on retrouve le petit groupe dans le passage que nous lisons aujourdʼhui : « Le soir, ce même jour, le premier jour de la semaine ». Jésus ressuscité leur apparaît et ils se réjouissent, mais Thomas qui est absent refuse de croire ce que ses compagnons lui racontent.
La deuxième partie du texte se situe maintenant huit jours plus tard et, cette fois, Thomas est présent. Jésus rejoint donc la petite communauté alors quʼelle se trouve en grande difficulté : cet épisode du ressuscité fait écho à un autre passage de l’évangile de Jean, au chapitre 6, lorsque Jésus apparaît au milieu de la tempête. Les deux textes se terminent, l’un et l’autre, sur une théophanie : « Il faisait déjà nuit ; Jésus n'était pas encore venu les rejoindre ; et la mer, comme soufflait un grand vent, se soulevait. Ils avaient ramé environ vingt-cinq ou trente stades, quand ils voient Jésus marcher sur la mer et s'approcher du bateau. Ils eurent peur. Mais il leur dit : ʻC'est moi. N'ayez pas peur.ʼ » (Jn 6,17-20).
Jésus en marchant sur la mer attestait son pouvoir sur les forces de mort, et préfigurait sa propre résurrection. En venant vers eux sur la mer, il les invitait à croire en lui, à avoir confiance pour leur propre salut. En leur disant « cʼest moi », il affirmait par la même occasion sa nature divine, comme le fait Thomas dans le texte dʼaujourdʼhui : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Il existe une forte similitude entre ce passage et le texte dʼaujourdʼhui. Au matin de Pâques, Jésus apparaît aux disciples dans la nuit de leurs cœurs, encore traumatisés par la Passion ; il vient apporter la paix et la joie à la barque de Pierre, cette jeune Église naissante, qui va commencer sa navigation mouvementée sur les eaux du monde. Comme pour apaiser la tempête de leurs âmes, Jésus répète par deux fois : « La paix soit avec vous ! ». Et cette nouvelle forme de présence du Crucifié les remplit de joie…
Mais, frères et sœurs, pour mieux saisir l’importance du passage qui nous rapporte lʼincrédulité de l’apôtre Thomas, faisons un détour par le commentaire de lʼévangéliste à la fin du chapitre 20 : « Ces signes ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu'en croyant vous ayez la vie en son nom. » (Jn 20,31).
Saint Jean révèle ici lʼintention qui sous-tend tout son évangile : en décrivant des signes concrets réalisés par Jésus, il veut transmettre la foi, afin que nous ayons la vie par lui. À la différence des synoptiques, Jean a choisi peu de signes dans son évangile, seulement sept et le 7ème signe, comme couronnement de tout cet itinéraire dans la foi est le signe de la Résurrection.
Or la distance est immense entre les apôtres, qui ont vu le Ressuscité, et les lecteurs de Jean, ces générations de croyants qui se sont succédées au cours des siècles et dont nous faisons partie. Nous nʼavons pas connu Jésus à la manière humaine… Lʼépisode de Thomas vient justement combler ce fossé en nous montrant le Seigneur qui vient au secours de lʼincrédulité de son disciple, et loue ainsi par anticipation la foi de tous les futurs chrétiens : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » (v.29), parce quʼils accueillent en eux le témoignage sur Jésus et son mystère, et sont portés à la foi par lʼaction de lʼEsprit Saint.
De tout le groupe des apôtres, Thomas est le dernier à recevoir un signe. Il a besoin de faire sa propre expérience, comme les autres, comme nous. Mais le plus étonnant est sa requête : il ne demande pas simplement à être là pour la prochaine apparition, il ne demande pas voir Jésus ou à reconnaître sa voix, comme les autres disciples. Il va plus loin : il veut mettre ses mains dans les plaies du Christ.
La particularité de Thomas est sans doute dʼavoir été bouleversé par la Passion, nous ne savons pas exactement de quelle manière ; sans doute a-t-il été traumatisé par le supplice horrible de la crucifixion et lʼabaissement total du Christ, son maître. Comme beaucoup de chrétiens, il bute sur la Croix, il ne comprend pas pourquoi il faut que lʼamour soit rejeté et persécuté pour que la Rédemption sʼaccomplisse. Il nʼaccepte pas que le Christ soit descendu aussi bas, et sʼarrête au tombeau scellé.
Mais à la différence de Marie Madeleine qui pleure devant le tombeau et continue de chercher son Seigneur, la Croix nʼa pas approfondi son amour pour Jésus, elle lʼa paralysé, elle a fermé son cœur dans lʼamertume. Cʼest probablement pourquoi il nʼest plus avec le groupe le jour de Pâques.
Or Jésus va venir à son secours : Il connaît son attachement et son désarroi, et il va accéder à ses demandes : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse dʼêtre incrédule, sois croyant ! » (v.27) En disant cela, Jésus ne sʼoffre pas simplement à la vérification empirique de Thomas, Il lʼattire bien plus loin. Il lui permet de toucher du doigt la profondeur et la réalité de sa Miséricorde. Thomas découvre combien celui quʼil appelle son Seigneur a souffert par amour pour lui. Finalement, ce qui permet aux disciples de reconnaître pleinement le Christ, dans son nouveau mode dʼêtre, ce nʼest pas lʼapparence ou la voix, ce sont les traces de la Passion, les signes de lʼamour qui va jusquʼau bout.
Thomas, qui perçoit combien le mystère le dépasse, peut alors faire la profession de foi la plus haute et la plus accomplie de lʼévangile : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Cette invitation nous est lancée à nous aussi, croyants qui avons besoin de raviver notre foi : nous sommes appelés à prendre pleinement conscience des plaies et de lʼamour du Christ pour nous.
Ce qui nous est demandé en ce dimanche de la Miséricorde c’est d’accueillir le Christ ressuscité.
Le matin de Pâques, tout est nouveau dans le jardin où Jésus rencontre Marie Madeleine, et lʼon ressent encore la fraîcheur de leur rencontre (« Rabbouni ! » Jn 20,16). Mais au soir du même jour, les disciples nʼont pas encore été touchés par cette nouveauté, enfermés quʼils sont dans le Cénacle, prisonniers de leur peur et des images traumatisantes de la Passion. Le Seigneur leur apparaît et tout recommence de nouveau : comme une nouvelle création, une nouvelle naissance, un nouveau ministère.
Revenons au jour de la création de lʼhomme : « Le Seigneur Dieu modela lʼhomme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et lʼhomme devint un être vivant. » (Gn 2,7) ; de même au Cénacle, Jésus souffle sur ses apôtres. Ces hommes quʼil a tirés de leur vie ordinaire en Galilée, et quʼIl a formés pendant sa vie publique, il leur confère maintenant une nouvelle vie dans lʼEsprit, et la mission de répandre la Miséricorde. Leur ministère est une nouvelle autorité donnée sur le monde, comme Adam avait reçu la terre à dominer (Gn 1,28).
Le chapitre 20 de Jean nous propose deux repères temporels, un matin et un soir, comme au premier jour de la création : « il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le premier jour » (Gn 1, 5). Il évoque aussi un autre commencement, le huitième jour qui représente la fin des temps et la Parousie. Par ailleurs, deux personnages dominent le récit, Marie Madeleine et Thomas, un homme et une femme, entourés dʼun groupe humain qui se constitue. Jean nous propose donc une vision en raccourci de la nouvelle humanité en quête de Dieu, qui renaît avec le Christ. Au matin de Pâques, Dieu recrée le monde et envoie les croyants en mission ; il les fait progressivement croître dans la foi jusquʼà la rencontre plénière avec lui. Pour certains commentateurs, Thomas symbolise lʼhomme arrivé au terme de la foi, la vision de Dieu ; il incarne aussi le peuple juif qui ne croira pleinement quʼà la Parousie, en voyant le Messie glorifié.
La nouveauté de la Résurrection est aussi une nouvelle naissance, pour Jésus (son corps est désormais glorieux) comme pour lʼÉglise (qui reçoit lʼEsprit), et pour chaque croyant appelé à « renaître de lʼeau et de lʼEsprit » (Jn 3, 5)…
Nouvelle création, nouvelle naissance : dans les deux cas, les femmes jouent un rôle important, puisquʼelles transmettent la vie nouvelle. Leur amour de Jésus, si profond, les amène à être les premières à accueillir le Christ ressuscité…
Marie Madeleine, Thomas : quelle différence entre le cœur féminin qui cherche et sʼattache à son Seigneur, et lʼesprit masculin qui doit toucher pour arriver à croire ! Marie a placé lʼamour à la première place, elle ne vit que de lʼamour de Jésus pour elle, et cʼest pourquoi son cœur accueille dès le début la nouveauté de la Résurrection…
En ce dimanche de la Miséricorde, demandons au Seigneur de venir à notre rencontre pour, qu’en imprimant ses saintes plaies dans notre cœur, nous chassions, non seulement, nos doutes mais que nous soyons avide à le chercher et nourrir notre foi. Qu’en faisant de nouveau l’expérience de sa présence nous soyons fermement décider à porter la Bonne Nouvelle à nos frères et d’accomplir dans la joie la mission qu’il nous confie. Amen.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Homélie du 16 juillet 2019 - ND du Mont Carmel

Homélie du 15 octobre 2017 - Sainte Thérèse d'Avila

Homélie du 14 décembre 2017 (St Jean de la Croix)