Homélie du 04 mars 2018 - 3e Carême



« Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai ! » (Jn 2,19)

Frères et sœurs, la réponse de Jésus aux Juifs qui l’interpellent dans le Temple, eux-mêmes dérangés par son geste subversif et prophétique, mérite qu’on s’y arrête. Cette parole est incompréhensible pour les auditeurs : elle provient d’une Sagesse supérieure. Elle nous introduit dans le mystère du Christ, dont le Corps est l’Église. Enfin, elle nous ouvre un chemin de conversion personnelle pour ce carême.
Le passage de la première lettre aux Corinthiens que nous venond d’entendre(1Co 1) est le meilleur commentaire à l’épisode de la purification du Temple (Jn 2) : scandale et folie du comportement du Christ. Jésus a attiré l’attention des autorités du Temple par son geste prophétique, puis a fourni une réponse dont le sens profond ne peut que leur échapper à ce moment-là. Les enseignements de Jésus vont se succéder dans le Temple mais les cœurs se fermeront et les autorités du Temple s’obstineront à interpréter ces paroles politiquement, effrayés pas la révolution spirituelle qu’il apporte. Quelle folie, de la part du Messie, de se comporter ainsi face aux puissants ! Il eût été humainement bien plus sage de nouer des alliances, de converser doctement sur l’Écriture, ou d’établir un dialogue dans le respect mutuel… La force de la parole du Christ vient se briser contre la prétendue sagesse humaine…
Les Juifs réclament des signes, et Jésus aurait pu leur en offrir sur le champ ; mais, au delà de la violence de son geste, il choisit déjà la voie de la faiblesse, celle qui le conduira à la Passion…
Folie et faiblesse : voilà bien les traits de ce « Messie crucifié » que prêche saint Paul. Les paroles du Christ dans le Temple étaient obscures pour ses auditeurs ; mais elles devinrent lumière pour les disciples après la Résurrection. Dans cette scène, nous voyons à l’œuvre la Sagesse d’amour qui est celle de Dieu, qui dépasse notre entendement.
Essayons d’accueillir cette Sagesse d’amour, d’accepter tout ce qui nous dérange et rebute en elle : c’est ainsi que l’amour du Christ pourra conquérir nos cœurs. En nous laissant guider par cette Sagesse, contemplons la scène de la Purification du Temple…
En un certain sens, les Dix Paroles de Moïse que nous lisons ce dimanche à la messe, sont elles aussi une dénonciation du péché, une irruption de la sainteté divine au milieu du Peuple pour exiger la fidélité à l’Alliance. À travers ses commandements, le Seigneur nous répète cette parole brûlante du Lévitique : « Oui, c'est moi le Seigneur qui vous ai fait monter du pays d'Égypte pour être votre Dieu : vous serez donc saints parce que je suis saint ! » (Lv 11,45). La protestation divine contre le péché, depuis Moïse jusqu’à Jésus, en passant par Jérémie, résonne dans le Temple et interpelle notre conscience pour que nous ne retournions pas dans l’esclavage et l’idolâtrie.
Mais il y a beaucoup plus dans ce geste de Jésus : « le Temple dont Il parlait, c’était son corps » (Jn 2,21). Le Christ dépasse Jérémie et ses « protestations », pour nous introduire dans le mystère de sa Passion et de sa Résurrection. C’est bien ce que signifie ici la mention des trois jours. Le fouet préfigure aussi la manière dont Jésus va réaliser dans sa chair la purification dont nous avons besoin. Par ses gestes, Jésus vient bousculer le pouvoir religieux en place en essayant de l’ouvrir à son Mystère…
Jésus ne se contente pas de dénoncer le péché, comme le fait la Loi, mais il annonce qu’Il y portera lui-même remède, dans le mystère pascal où il devient à la fois prêtre, autel et victime : une substitution à tout ce qui constituait le Temple. Ni Moïse ni Jérémie ne pouvaient réaliser cela. La Loi pouvait guider mais non pas délivrer ; elle était impuissante devant cet échec permanent qu’est le péché (cf. Heb 10,1 et Ro 8). Jésus est venu instaurer la nouvelle alliance, et bâtir le nouveau Temple…
Dans l’évangile de Jean, les « signes » sont fondamentaux et structurent tout le récit : après les grands signes de la vie publique, depuis Cana jusqu’à Lazare, se trouve le Signe fondamental et définitif qu’est le mystère pascal.  Sur le moment, les interlocuteurs du Christ ne comprennent pas ce qu’il veut dire...
En chassant les vendeurs du temple, Jésus agit ici avec une certaine violence qui peut nous étonner et nous choquer. Cette violence n’est en réalité pas la sienne mais celle des hommes, celle qui est faite à Dieu et au prochain. Jésus, d’une certaine façon, ne fait que la mettre en scène, comme Osée signifiait à Israël son infidélité en épousant une prostituée, ou comme Ezéchiel sortait de Jérusalem « avec un sac de déporté » pour mimer la déportation à venir du peuple à Babylone (Ez 12). Tragiquement, Jésus annonce la violence qui va lui être faite dans son propre corps, le nouveau Temple.
Par son geste, Jésus veut changer nos mentalités, dépassant le Temple comme lieu où l’homme s’acquitte de devoirs codifiés comme des rapports marchands. « J’offre des sacrifices, je me conduis bien et Dieu me bénit… ». La relation avec Dieu répugne à cette logique marchande pour s’ouvrir à une relation libre, spontané et sincère. Le Temple devient lieu de rencontre et de communion entre le Tout-puissant et l’homme pécheur…
En dernière analyse, le Temple que Jésus veut purifier, le parvis des païens qu’il veut nettoyer, c’est notre cœur où il demeure depuis notre baptême comme dans le Saint des Saints. L’espace encombré et impur qui souille le Sanctuaire, c’est toute cette partie de ma personne qui échappe à la louange divine pour se livrer au commerce des idoles.
Pour remédier à cela, la méthode est assez radicale : la violence de Jésus nous invite à refuser les compromis, et à retirer ce qui blesse la dignité du lieu. Nous sommes invités en carême à pratiquer un repentir audacieux, à débusquer et à renoncer courageusement à tout ce qui n’a pas sa place dans une vie chrétienne.
Pour cela, prenons exemple sur les disciples : « ils se rappelèrent qu’il est écrit : ‘le zèle pour ta maison me dévorera.’ » (Jn 2,22). Ils connaissent donc l’Écriture et savent que Dieu s’y révèle. Pendant ce Carême, ne laissons pas notre Bible dormir sur l’étagère.
Ensuite, ils regardent attentivement Jésus, écoutent et recueillent ses paroles, notent ses gestes. C’est bien le point de départ de notre vie spirituelle, toute centrée sur le mystère du Christ. Prenons donc aussi le temps de la contemplation du Christ.
Enfin, Jean note soigneusement : « Quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela, et ils crurent à l'Écriture et à la parole qu'il avait dite. » (Jn 2,22). C’est le plus important : ils comprennent et assimilent les faits et gestes de Jésus à la lumière du Mystère pascal, et en saisissent ainsi le sens profond, celui de l’Amour qui va jusqu’au bout, jusqu’au don absolu de soi. C’est encore dans le Temple que Jésus révèlera pleinement le mystère insondable de son Cœur en s’écriant : « qu’il vienne à moi celui qui a soif et qu’il boive, car de mon sein couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7, 37). Participons fréquemment à la messe et méditons la Passion en nous y associant de tout notre cœur.
En ce temps de Carême, nous pouvons remercier le Père d’avoir envoyé Jésus accomplir une telle œuvre. Nous lui offrons le nouveau culte dans l’Esprit, celui de la louange, dans le nouveau Temple, qu’est l’Église, et nous accueillons ce temps de carême comme un temps de purification en vue d’une communion toujours plus grande et sincère.                       Amen.

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