Homélie du 16 août 2020 - 20e dimanche du Temps Ordinaire A
Frères et sœurs, en ce dimanche, Jésus
s'aventure en dehors des frontières d'Israël, dans la région de Tyr et de Sidon, au
sud de l'actuel Liban (Mt 15). Une femme étrangère vient demander un miracle
pour sa fille, et reçoit, au final, un grand compliment : « Femme, grande est ta foi ! » (v.28) D'où
le choix de la première lecture, tirée du livre d'Isaïe, où Dieu promet
d'accueillir avec amour les étrangers qui viendront à la foi d'Israël : « Je les comblerai de joie dans la maison de prière
» (Is 56,7).
Les disciples de Jésus, dans cette
phase de son ministère public, devaient ressentir de l'inquiétude et se poser
bien des questions. Après l'enthousiasme des premiers débuts, entre miracles et
discours fascinants, se succèdent des expériences étranges comme l'apparition
de nuit au milieu du lac (Mt 14), puis des affrontements de plus en plus aigus
avec les Pharisiens, qui accourent de Jérusalem pour mettre Jésus à l'épreuve
; or celui-ci ne fait rien pour calmer les tensions, bien au contraire : « Laissez-les : ce sont des aveugles qui guident des
aveugles ! » (Mt 15,14). En entendant de tels conseils, les
disciples devaient s'inquiéter - avec raison - de l'orage qui se prépare depuis
Jérusalem.
Le Maître décide alors de les emmener
à part, dans la région de Tyr et Sidon,
pour prendre soin d'eux : Il s'agit d'un moment de
répit, en dehors d'Israël, en pays païen, aux abords de ces villes cosmopolites
où tant de cultures se croisent et permettent de vivre incognito. Jésus veut surtout les
instruire plus profondément sur le mystère de sa personne. Et, nous verrons
les fruits de cette instruction la semaine prochaine, dans cette autre ville
frontière qu'est Césarée de Philippe, avec la « profession de foi » de Pierre.
On comprend dès lors la réaction très
négative, lorsqu'une Cananéenne fait irruption avec ses cris. Les disciples
formaient un groupe serré autour de Jésus, savourant son enseignement dans une
paix bien méritée. De plus, le risque était grand d'attirer les foules si le
Maître recommençait à faire des miracles. Jésus, lui-même, semble trancher en
leur faveur : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis
perdues de la maison d'Israël » (v.24)
Mais la femme insiste, dérange les
disciples par ses cris, parvient à se faufiler devant Jésus et lui adresse
cette supplication pressante : « Seigneur,
viens à mon secours ! » (v.25). Le Christ semble adopter, dans
cette occasion, une attitude très froide qui peut nous choquer et qui
contraste avec la « pitié » qu'il manifestait face aux foules (Mt 14,14).
Il ignore d'abord la Cananéenne - « il
ne lui répondit pas », puis lui résiste par deux fois : « je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison
d'Israël » ; puis « Il
n'est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits
chiens... » (v.26).
Pourquoi cette dureté, frères et
soeurs ? On peut imaginer une double intention dans le cœur de Jésus : d'une part, Il sait que l'Esprit Saint est en train de
travailler le cœur de cette femme, qu'au-delà de la détresse qui l'habite, elle a le besoin et
la capacité de s'ouvrir pleinement à l'annonce du Royaume et il se montre exigeant envers elle. Comment
serait-elle venue le trouver, sans une inspiration spéciale ? Il veut donc
porter cette œuvre à son achèvement, et obtenir de cette pauvre Cananéenne,
en plus de sa foi en ses talents de guérisseur, un acte d'humilité et la
reconnaissance du salut qui vient des Juifs et prend chair dans le Christ.
En venant vers Jésus, cette femme,
comme nous le faisons souvent, porte une demande purement humaine : la
guérison de sa fille. Le Christ l'oblige à creuser plus profond son désir :
elle parle de sa fille, il évoque la foi d'Israël et celui qui est
envoyé à tout le peuple élu ; elle parle maladie et possession, il
répond « péché » et « rachat ». Il élargit son cœur et sa demande. C'est finalement elle qui
demande à entrer dans le salut du peuple juif, à une place tout humble. Il
fait alors l'éloge de sa foi. La guérison de sa fille sera pour la
Cananéenne une nouvelle fécondité, celle qui provient de l'Esprit à travers le
Christ, pour la gloire du Père.
Par ailleurs, Jésus pense aussi à ses
disciples, dont Il essaie de susciter la foi. Quel meilleur exemple que cette
femme, une païenne ignorante des Écritures et qui connaît à peine le Seigneur,
mais qui rejoint en quelques instants le groupe des « sauvés par la foi »
?
L'épisode est aussi l'occasion d'un
profond enseignement pastoral : lorsqu'ils seront envoyés pour évangéliser les
nations païennes, les apôtres devront expulser les démons et renverser les
croyances païennes « au nom de Jésus ».
Malheur
à eux s'ils deviennent de nouveau un obstacle entre l'humanité déchue et son
Rédempteur ! Le
groupe des disciples, hier comme aujourd'hui, doit se laisser toucher par les
pécheurs et les incroyants, et leur permettre d'entrer en contact avec Jésus.
Cela se manifeste, d'ailleurs, dans la construction de nos églises : un lieu
sacré, certes, mais dont l'accès est ouvert à tous. Un lieu de retraite autour
de l'Eucharistie, au milieu du monde, comme le groupe des disciples autour du
Maître en territoire païen ; mais un lieu accueillant pour tous. Alors
que tant de nos contemporains se tiennent « sur le seuil » de la maison du
Père, nous devons, avoir à cœur de les y introduire...
La communauté des disciples autour du
Christ, dans cette région de Tyr et Sidon, est donc une image frappante de
l'Église qui accueille les païens en son sein. La voici, cette demeure sainte
que Dieu voulait construire depuis des siècles : « ma maison s’appellera maison de prière pour tous
les peuples » (Is 56,7)…
La scène de la femme cananéenne, qui
importune si fortement les disciples, mais obtient une louange si grande de la
part du Christ, reste gravée dans nos mémoires : quelle humilité que de
s'abaisser jusqu'à supplier de « manger
les miettes comme les petits chiens » ! Cette scène est pour nous
un exemple de persévérance dans la prière, mais aussi un
avertissement dans notre attitude vis-à-vis du prochain.
Cependant, le Christ ne se perd pas
en reproches à ses disciples : il préfère leur montrer un exemple concret
d'humilité et de prière persévérante, ce chemin de pauvreté spirituelle
qu'ils devront, eux aussi, emprunter. Son refus initial d'exaucer cette
pauvre cananéenne, avec ce qui peut ressembler à une note de dédain, est en
réalité une mise à l'épreuve pour obtenir d'elle une confiance plus totale,
plus dépouillée, qui serve de leçon aux apôtres. Dans quelques mois, après
sa Résurrection, les apôtres devront, eux aussi, supplier le Maître pour que les
hommes reçoivent le salut offert par le Christ…
Cette femme personnifie l'Église qui,
dans son chemin sur cette terre, doit intercéder en faveur de l'humanité,
semblable à la fille de la Cananéenne. Cette humanité bien malade, infestée de
démons, incapable de faire le bien, il faut une intervention directe du Christ
pour la relever : c'est le rôle de l'Église de l'obtenir par sa prière et
par la dispensation des sacrements.
Pensons à tant de religieuses, de
par le monde, qui se prodiguent sans réserve dans des situations humaines souvent
extrêmes : pauvreté, prostitution, mafia, et y annoncent le Christ. Elles sont,
en général, oubliées des médias, voire même parfois de l'Église « officielle »,
mais le Christ - leur époux - sait entendre le cri de leur prière insistante en
faveur de toutes ces situations de détresse…
En méditant cet évangile, nous
pouvons nous interroger sur notre manière de demander. Cherchons-nous le
salut ou bien seulement un soulagement qui ne dépasse pas cette vie terrestre ?
Avec l'Église, demandons-nous que l'Évangile touche le cœur de tous les hommes,
en particulier de ceux que nous rencontrons et qui ne le connaissent pas ? Lorsque
nous ne sommes pas exaucés dans notre prière, est-ce que nous continuons à demander
comme la Cananéenne, ou est-ce que nous nous résignons en tombant dans le
découragement, la résignation, voire la récrimination ? Pensons-nous que
le salut est pour nous aussi ? Demandons-nous des grâces spirituelles ?
Enfin, lorsque dans nos demandes nous
sommes menés par le Christ vers une tout autre réponse que celle que nous
attendions - par exemple lorsqu'en demandant une faveur humaine, nous recevons
une grâce spirituelle - savons-nous l'accueillir avec gratitude ?
Alors,
à l’image de cette Cananéenne, soyons très audacieux ce matin et demandons au
Seigneur la grâce de dilater nos cœurs aux dimensions du cœur du Christ.
Que nous gardions au fond de nos âmes le grand désir du salut de nos frères et sœurs
en humanité. Amen.
Commentaires
Enregistrer un commentaire