Homélie du 28 juin 2020 - 13e TO
Frères et sœurs, dans le passage d’évangile que nous
venons d’entendre Jésus achève son « discours missionnaire » (Mt 10) : nous
écoutons les toutes dernières instructions qu’Il a données aux Douze avant de
les envoyer en mission (cf. v.5). À la différence de saint Luc, Matthieu
n’expliquera pas quels seront les fruits de cet envoi : lorsque commence le
chapitre suivant, nous retrouvons Jésus comme prédicateur itinérant entouré de
ses disciples.
Cela pourrait signifier que le discours de Jésus
s’adresse surtout à la communauté rassemblée autour de Matthieu, des années
après la pâque, pour recueillir des lèvres du vieil apôtre les enseignements de
Jésus. Nous pouvons alors mieux comprendre cette exhortation si forte : « qui aime son père ou sa
mère plus que moi n'est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus
que moi n'est pas digne de moi. » (v.37)
Il s’agit bien d’aimer le Christ par-dessus tout, ce qui
est valable en tous temps ; mais l’opposition familiale s’explique surtout, sans
doute, par la situation de la communauté de Matthieu, des Juifs convertis à la
foi au Christ et donc souvent détachés, voire rejetés et persécutés par leurs
proches. Il
s’agissait alors de choisir entre appartenances familiales ou fidélité au
Christ, un drame qui se répète encore de nos jours.
Saint Paul en a fait l’expérience amère dans les
multiples églises qu’il a fondées. Les versets précédents notre passage d’évangile
et que la liturgie a omis, sont à comprendre dans ce contexte historique : « N'allez pas croire que
je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la
paix, mais le glaive. Car je suis venu opposer l'homme à son père, la fille à
sa mère et la bru à sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa
famille. » (v.34-36)
Mais ce qui peut nous frapper le plus dans les paroles du
Christ, ce matin, c’est leur accent « égocentrique » : malgré son
humilité habituelle, Jésus se met au centre, dans ces versets, et exprime
une supériorité absolue : « digne de moi… me suivre… perdre sa vie à cause de moi…
m’accueillir… ». Le texte comporte dix fois la parole « moi » en seulement
quatre versets !
Plus
scandaleuses encore, en apparence, sont les attitudes paradoxales que Jésus exige de ses
disciples : il s’agit de « prendre sa croix », c’est‐à‐dire de choisir délibérément
un chemin d’humiliation, de souffrances et d’abaissements. Quel programme
attrayant ! Il s’agit aussi de « perdre pour trouver » : « qui a trouvé sa vie la
perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera » (v.39). Le bon
sens reste totalement dérouté devant ces propositions… Elles nous permettent de
percevoir, de nouveau, la grandeur du Christ et combien la foi dépasse la
simple sagesse humaine.
Frères et sœurs, seul un homme qui avait
la « tranquille conscience » d’être Dieu et un amour infini à offrir, pouvait
prononcer un tel discours, et exprimer de telles exigences. Le Catéchisme,
lorsqu’il introduit la partie du « credo » sur la personne de Jésus, présente toute
la grandeur de cette foi avec une éloquente sobriété : « Nous croyons et
confessons que Jésus de Nazareth, né juif d’une fille d’Israël, à Bethléem, au
temps du roi Hérode le Grand et de l’empereur César Auguste ; de son métier
charpentier, mort crucifié à Jérusalem, sous le procureur Ponce Pilate, pendant
le règne de l’empereur Tibère, est le
Fils éternel de Dieu fait homme, qu’il est sorti de Dieu, descendu du ciel,
venu dans la chair, car “le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous,
et nous avons vu sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique,
plein de grâce et de vérité (...). Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu et
grâce pour grâce” (Jn 1, 14. 16).” (CEC – 423)
Mais le Christ ne se borne pas à exprimer des exigences
absolues, Il comble en retour ceux qui le suivent radicalement et qui, à
travers Lui, sont configurés au Père : « Qui vous accueille m’accueille et qui
m’accueille accueille celui qui m’a envoyé ». Ils sont en quelque sorte
devenus semblables à Dieu en partageant sa mission. Quelle élévation ! En
avons‐nous conscience ?
Par ailleurs, Jésus aime à remercier avec une gratitude
profonde et sincère, celle du vrai pauvre qui se réjouit du don qui lui est
fait, et
celle de Dieu même, lorsque, venu quémander notre bonne volonté sur cette
terre, il est accueilli à travers ses envoyés : « Quiconque donnera à boire à l'un de ces petits
rien qu'un verre d'eau fraîche, en tant qu'il est un disciple, en vérité je
vous le dis, il ne perdra pas sa récompense » (v.42). Cette perspective
explique le choix de notre première lecture (2R 4), où une « femme riche
» accueille le prophète Élisée parce qu’il est un homme de Dieu : elle
reçoit en retour de pouvoir concevoir un fils dans sa vieillesse. Sa
générosité est source de vie pour son foyer ; et ce à deux reprises puisqu’un
fils lui naîtra et que plus tard Élisée ressuscitera ce même fils. Il est impossible de
surpasser Dieu en générosité : le moindre geste que nous faisons pour lui est
rétribué « au centuple ».
Cette femme exprime son affection envers Élisée par un
projet très concret, où son génie féminin s’exprime par les détails : « Construisons‐lui donc une
petite chambre haute avec des murs, et nous y mettrons pour lui un lit, une
table, un siège et une lampe : quand il viendra chez nous, il se retirera là » (v.10). Elle
s’affaire aussitôt, et Dieu se laisse toucher par tant de prévenance… Quelles
sont nos contributions à l’annonce
de l’évangile? Sont‐elles
de pure forme
ou bien concrètes ?
Sont‐elles lointaines ou bien
viennent‐elles toucher la réalité de notre vie personnelle ? Ouvrons-nous notre
maison, nos familles à ceux qui annoncent le Christ ? On note chez cette
Sunamite le même empressement qu’Abraham lorsqu’il reçut la visite des trois
mystérieux personnages au chêne de Mambré… (Gn 18,7). Et, Abraham aussi sera récompensé par la
naissance d’un fils.
La même attention
délicate devait animer
les femmes qui
suivaient le Christ
pendant sa vie publique
: « elles les assistaient de
leurs biens », nous dit l’évangile (Lc 8,3). Jésus lui‐même a reçu l’hospitalité, et
l’a appréciée à sa juste valeur, comme nous pouvons l’imaginer à Béthanie, se reposant
auprès de ses amis.
L’histoire se répète :
elles sont innombrables, ces personnes dévouées qui, au cours des siècles, ont
pris soin des disciples dans leurs nécessités matérielles. Jésus contemple
toutes ces bonnes âmes dans l’évangile de ce jour, et leur promet de ne pas les
oublier: « Elles
ne perdront pas leur récompense ».
Permettez-moi de finir mon
propos ce matin en reprenant la prière confiante d’un juif converti au christianisme.
Il nous invite par sa prière, à contempler la Croix du Christ et à entendre Jésus lui-même nous murmurer au fond de notre
cœur : « Je t’aime,… je t’aime infiniment. Tu vaux mieux que le
mal que tu as fait. N’aie pas peur, je suis là, ma Croix te protège. Relève-toi,
et regarde-moi sur ma Croix, … contemple-moi sur ma Croix, vénère-moi,
adore-moi. Je me donne à toi, prends-moi. Prends-moi et marche à l’ombre
de la Croix ». Amen. (JME Setbon, De la Kippa à la Croix, Salvator
2013,p.196)
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