Homélie du 10 mai 2020 - 5e TP
Frères et sœurs, en ce 5e
dimanche de Pâques, nous continuons
notre itinéraire spirituel du temps pascal, à mi-chemin entre la
célébration de la Résurrection, il y a un mois, et la Pentecôte qui sera
célébrée dans trois semaines. Chacune des lectures suit un cycle particulier, dimanche après
dimanche. Aujourd'hui les Actes nous présentent l'institution des diacres (Ac
6), saint Pierre développe une théologie du « sacerdoce commun » (1P 2), tandis
que l'Évangile nous replonge dans l'atmosphère de la dernière cène (Jn 14). En
conséquence, il n'y a pas de fil conducteur qui relie ces trois textes, si ce
n'est « l'atmosphère pascale ».
Nous connaissons bien la description merveilleuse de la
première communauté chrétienne : « La multitude des croyants n'avait
qu'un seul cœur et qu'une seule âme » (Ac 4, 32). Mais
les problèmes n'ont pas tardé à poindre au cours de cet « âge d'or », au
lendemain de la Pentecôte : des frères commencent à récriminer contre
d'autres frères, à propos de problèmes matériels (Ac 6, première lecture). Il était naturel qu'un groupe humain, avec une
croissance si forte, expérimentât quelques tensions entre ses membres. Et la
façon de résoudre le problème est très instructive pour notre Église aujourd'hui.
Ce passage des
Actes nous montre comment la communauté a surmonté cette épreuve : en
laissant les apôtres se consacrer à la tâche essentielle qu'est la proclamation
de la Parole. Les douze apôtres ordonnent sept diacres par l'imposition des
mains, pour les charger de l'administration matérielle. Ainsi, eux-mêmes
ne délaissent pas le culte du Seigneur.
L'Esprit
inspire donc une répartition des rôles dans l'Église, valable pour tous les
temps : c'est une réponse à nos tentations actuelles de « laïciser les
prêtres », qui voudraient parfois tout gérer, ou de « cléricaliser les
laïcs », en les chargeant du culte... c'est également un rappel aux prêtres
que Dieu appelle avant tout à être
fidèles à la prière et à l'annonce de l'Évangile.
Dans les
Actes, le « culte » est d'ailleurs toujours centré sur la Parole de Dieu. Les
apôtres ne doivent pas la délaisser, elle est « féconde
parmi le peuple » (v.7). Elle se propage avec une facilité
surprenante, par l'action conjointe des apôtres et de l'Esprit Saint, pour
susciter des croyants sur toute la surface de la terre. C'est elle qui
conquiert le cœur des païens et les amène à la foi.
Ce passage est plein d'enseignement
pour nous aujourd'hui, alors que nous nous désolons souvent de voir que
l'Évangile ne reçoit pas bon accueil : nos églises sont-elles seulement des
lieux de rassemblement sympathique, de réflexion, d'action sociale, ou bien
sont-elles centrées sur la prière et la Parole de Dieu ?
Dans
l'Évangile (Jn 14), nous retrouvons l'atmosphère si intime et émouvante de la
dernière cène, après le lavement des pieds, la trahison de Judas, le
commandement de l'amour et l'annonce de l'abandon de Pierre (Jn 13). Jésus
ouvre totalement son cœur à ses disciples. Il révèle l'amour qui l'habite pour
son Père et pour ses amis. Il est venu établir la communion d'amour et de vie
entre les hommes et Dieu son Père. Cette communion se base sur la foi, d'où la
répétition si insistante du verbe « croire », dès le premier verset : « vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi... » et tout au
long du chapitre. Les disciples sont déroutés par la profondeur de cette
Révélation, puisque Jésus se déclare tout à la fois : le guide pour
aller vers le Père : « Je reviendrai vous
prendre avec moi... » (v.2), le chemin unique pour y parvenir : « Personne ne va vers
le Père sans passer par moi » (v.6)
et le terme du chemin : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (v.10)
Souvent,
les deux interventions des disciples, d'abord Thomas (« Comment
pourrions-nous savoir le chemin ? ») et ensuite Philippe (« Montre-nous
le Père, cela nous suffit ! ») sont considérées comme « déplacées » ; on
y voit l'expression de la légèreté spirituelle des
apôtres face à la sublimité de la personne du Christ. Mais elles sont essentielles
dans l'Évangile de Jean : elles permettent à Jésus de révéler pleinement son
mystère. L'aigle peut alors donner un coup d'aile pour accomplir un nouveau cercle
qui le porte plus haut. Elles montrent
aussi la familiarité que Jésus voulait avoir avec ses apôtres. Plus encore,
elles nous impliquent dans l'Évangile et nous « donnent le micro » que les
bien-pensants voudraient nous arracher.
Benoît
XVI relevait ainsi la valeur de la question de Thomas : « Sa
question nous confère à nous aussi le droit, pour ainsi dire, de demander des
explications à Jésus. Souvent, nous ne le comprenons pas. Ayons le courage de
dire : je ne te comprends pas, Seigneur, écoute-moi, aide-moi à comprendre. De
cette façon, avec cette franchise qui est la véritable façon de prier, de
parler avec Jésus, nous exprimons la petitesse de notre capacité à comprendre
et, dans le même temps, nous nous plaçons dans l'attitude confiante de celui
qui attend la lumière et la force de celui qui est en mesure de les donner. »
Cette
attitude d'humilité est absolument nécessaire pour entrer dans l'Évangile de
Jean. Si quelqu'un affirme avoir compris pleinement la Révélation et des
phrases comme « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie », cela
montre qu'il ne s'est pas encore mis à l'école de Jésus... Prenons notre place
aux côtés des disciples éblouis par le mystère du Christ, osons poser des questions au Maître. Approchons notre oreille sur
son Cœur, comme saint Jean : laissons jaillir en notre cœur ce désir profond de
voir le Père, et demandons à Jésus d'accomplir ses propres Paroles en nous.
Enfin,
approfondissons la réponse de Jésus à Philippe : « Celui qui m'a vu a vu le Père » (v.9) :
l'Incarnation a opéré une véritable révolution. Désormais, Dieu a pris un
visage humain... Les conséquences pour notre chemin vers Dieu sont
incalculables : désormais Dieu est
accessible, le rideau du Temple est déchiré, nous pouvons emprunter la voie du
Christ pour étancher notre « soif d'absolu ». Par ailleurs, il n'y a pas
d'autre voie ; son humanité est absolument centrale pour atteindre la
divinité. En notre époque de dialogue interreligieux - qui n'est pas le
syncrétisme ni le relativisme - il est bon de rappeler cette évidence de la foi
comme le faisait saint Jean-Paul II :
« Dans l'optique chrétienne l'expérience de Dieu ne peut jamais se
réduire à un simple « sens du divin », et l'on ne peut pas considérer
comme n'étant pas nécessaire la médiation de l'humanité du Christ, comme
l'ont démontré les plus grands mystiques tels que saint Bernard, saint François
d'Assise, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse d'Avila, et de nombreux
disciples du Christ de notre époque, de Charles de Foucauld à sainte Thérèse
Bénédicte de la Croix (Edith Stein) ».(Audience
générale 20/09/2000).
Il est
important de comprendre que même les hommes qui vivent une authentique vie de
prière et de foi en-dehors de la foi au Christ, ainsi que tous les hommes
authentiquement religieux du passé, passent sans le savoir par sa médiation.
St Paul formule bien ce mystère : « Car
Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ
Jésus, homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous »
(1Tim 2,5).
Concrètement,
comment se mettre en chemin vers cette
mystique de l'humanité du Christ ? Les mystères de sa vie humaine sont là,
à notre portée, décrits par l'Évangile, commémorés chaque année par l'Église :
il suffit de se mettre à leur école, de les contempler humblement, de les
méditer, pour découvrir ce « visage du Père ». En particulier, tous les
mystiques ont insisté sur l'importance de la Passion : nos crucifix ne sont pas
une obsession morbide sur la violence faite à Jésus, mais la révélation la plus éclatante de son amour, et donc du Père qui livre
son Fils pour nous.
Inlassablement, il nous faut
reprendre ce chemin déroutant de la croix, cette voie
étroite qui conduit à l'union mystique. Jésus se dirige vers la gloire que lui donnera son Père, à travers
l'humiliation de la croix. Cela nous dérange-t-il, en ce temps joyeux de
Pâques ? Reprenons avec St Bonaventure sa belle prière d’action de grâces au
Christ :
«
Transpercez, ô très doux Seigneur Jésus,
la moelle et l'intime de mon âme de la très suave et très salutaire
blessure de votre amour, de la vraie, sereine, apostolique et très sainte
charité, afin que mon âme ne languisse et ne s'écoule jamais qu'en votre seul
amour et dans le désir de vous posséder et qu'elle désire mourir pour être avec
vous. Donnez à mon âme d'avoir faim de
vous chaque jour. Que mon cœur ait faim et se nourrisse toujours de vous,
que l'intime de mon âme soit toujours rempli de la douceur de votre saveur ;
que toujours elle ait soif de vous, source de vie, source de sagesse et de
science, source d'éternelle lumière, en sorte que vous seul soyez toujours mon espérance, toute ma confiance, ma
richesse, ma paix en qui soient fixés, affermis, et pour toujours
immuablement enracinés mon âme et mon cœur. Ainsi soit-il. »
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