Homélie du 16 février 2020 - 6e TO


           Frères et Sœurs, il nous faut bien reconnaître que cette partie du Discours de Jésus sur la montagne (Mt 5, 17-37) peut nous choquer par sa radicalité et sa force ; force avec laquelle Jésus nous apostrophe pour mettre à nu le secret de nos cœurs, et veut nous entraîner à la vertu. Il brandit la perspective de l'enfer, insiste sur la gravité du péché, se permet de reprendre la Loi comme on se saisirait d'un couteau pour l'aiguiser : « Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu'aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur » (Hb 4, 12). Comme Fils éternel du Père, Jésus est certes fondé à le faire, mais comment l'homme d'aujourd'hui acceptera-t-il de telles remontrances ? À une seule condition, connaître la compassion de Celui qui prononce ces paroles et comprendre son intention : Un « vrai »pasteur qui veut sauver chacune de ses brebis.
           En effet, Jésus ne se présente pas comme juge, malgré les avertissements d'un jugement terrible, sinon il ne récolterait que la peur ; il n'est pas non plus moraliste, analysant froidement les passions humaines : son discours est passionné. Jésus est plutôt un frère compatissant : son Cœur compatit à nos misères, il se désole des monstruosités qui défigurent notre vie intérieure, et veut à tout prix nous arracher à l'esclavage du péché. La force de ses paroles vient de cette « indignation divine » : présent dans le secret de nos consciences, Dieu y est témoin de tant de péchés qu'une immense tristesse le saisit. « Le Seigneur connaît toutes les actions de l'homme », avons-nous entendu dans notre 1e lecture. C'est en y reconnaissant un « cri de compassion » du Christ que nous pouvons entendre ces aspects du discours qui nous choquent au premier abord. Notre méditation de ce matin écoutera donc ses paroles plus « négatives » pour remonter au « positif » du message : Dieu est exigeant parce qu'il nous aime.
            Jésus commence donc par nous avertir sur l'enfer, à travers l'expression « géhenne de feu ». Chacune de ses relectures des commandements termine sur cette perspective terrible : Jésus nous dit qu'il est possible de « ne pas entrer dans le royaume des Cieux » (v.20), d'être « passibles de la géhenne de feu » (v.22), « jetés en prison » (v.25), notre corps peut être « jeté tout entier dans la géhenne » (v.29.30) et il dénonce l'ennemi : « cela vient du Mauvais » (v.37). Nous ne sommes peut-être plus habitués à ce genre de discours qui nous déroute, voire nous choque. Il provient pourtant directement de la prédication de Jésus et fait partie de l'enseignement officiel de l'Église…
            Quel est donc le sens de cet avertissement, qui peut sembler à première vue peu compatible avec la proclamation d'un Dieu amour ? C'est en réalité tout l'inverse : il est l'expression de la compassion de Jésus, qui voit la conséquence ultime de nos refus et de notre mal. Jésus ne cherche pas à nous faire peur, il nous montre clairement le précipice pour nous en détourner, comme nous le faisons nous-mêmes pour protéger d'un danger ceux que nous aimons.
            Autre point difficile du Discours : le péché n'est pas anodin. C'est un acte qui blesse gravement notre dignité et notre rapport à Dieu. Le Christ semble exagérer lorsqu'il nous invite à « arracher notre œil », « couper notre main », pour éviter de se souiller. Mais les saints ont ressenti vivement la même radicalité : plus nous avançons dans l'amour de Dieu, plus nous sommes désolés de la séparation que le péché met entre nous et Dieu, et plus nous cherchons les moyens de l'éviter. Si nous ne le faisons pas, c'est plutôt signe que notre amour pour le Christ n'est pas très délicat.
           Dans ce cas, il est bien urgent de demander dans notre prière au Seigneur un cœur pur, un cœur de chair, un cœur humble, ne désirant que Lui. De savoir oublier dans nos vies tout ce qui est étranger à Jésus, de savoir renoncer à tout ce que nous entreprenons hors de Lui. Et finalement, de ne vouloir que Lui... »
           Cette attitude de l'âme nous semble la bonne réponse face au Discours sur la montagne, la seule qui convienne vraiment : reconnaître ce mal que Jésus met à jour, et le supplier de nous aider à le combattre. Car la compassion du Christ, notre frère, ne va pas en rester aux paroles, mais venir nous libérer de façon efficace. Sinon sa dénonciation de l'impureté du cœur serait toute gratuite et finalement désespérante pour notre âme qui n'arrive pas à la dépasser. Par sa présence et avec son aide, nous apprenons jour après jour non seulement à rejeter les péchés les plus graves, dénoncés par la Loi, mais à grandir dans la délicatesse et rendre notre âme plus vertueuse. Saint François de Sales, ce grand directeur d'âmes, reprend ainsi en positif le Discours sur la montagne, avec son réalisme si fin :
           « C'est chose facile que de s'empêcher du meurtre, mais c'est chose difficile d'éviter les petites colères, dont les occasions se présentent à tout moment. C'est chose facile à un homme ou à une femme de s'empêcher de l'adultère, mais ce n'est pas chose si facile de s'empêcher des regards, de donner ou recevoir de l'amour, de procurer des grâces et menues faveurs, de dire et recevoir des paroles de cajolerie. [...] Il est facile, de ne point dire de faux témoignage en jugement, mais malaisé de ne point mentir en conversation [...] Bref, ces menues tentations de colères, de soupçons, de jalousie, d'envie, d'amourettes, de vanités, de duplicités,d'artifices, ce sont les continuels exercices des personnes qui sont les plus fervents et résolus : c'est pourquoi, nous dit François de Sales, il faut qu'avec grand soin et diligence nous nous préparions à ce combat ; et soyons assurée qu'autant de victoires que nous rapportons contre ces petits ennemis, autant de pierres précieuses seront mises en la couronne de gloire, que Dieu nous prépare en son paradis. C'est pourquoi, nous dit encore François de Sales, avant de vaillamment combattre les grandes tentations, si elles viennent, il faut bien nous défendre dignement de ces petites et faibles attaques ».
           Concrètement, frères et sœurs, nous pouvons prendre la résolution de mettre en œuvre l'un des trois commandements revus par Jésus, en les comprenant comme des conseils positifs sur la douceur, la pureté du cœur et la parole digne de foi. Ce dernier point (la parole digne de foi) est bien tristement oublié aujourd'hui : posséder une parole qui soit fiable, sur laquelle les autres puissent s'appuyer, sans qu'il soit nécessaire de serment ; dès qu'une affaire est importante, nous avons besoin de signer des contrats et de nous appuyer sur les institutions. À l'inverse, nous connaissons tous des personnes vraiment vertueuses, qui gagnent notre confiance par la simplicité de leur vie, et dont chaque engagement est une vraie « parole d'honneur » dont l'accomplissement ne fait aucun doute.
            Dans la vie en famille, en communauté ou au travail, répondons-nous toujours avec douceur, sans vouloir avoir le dernier mot, en ayant souci de ne pas blesser ? C'est peut-être ce premier point (sur la violence) que nous pouvons choisir, comme nous y invite le pape François :
            « Nous avons tous des sympathies et des antipathies »,nous dit-il, « et peut-être justement en ce moment sommes-nous fâchés contre quelqu'un. Disons au moins au Seigneur : « Seigneur, je suis fâché contre celui-ci ou celle-là. Je te prie pour lui et pour elle ». Prier pour la personne contre laquelle nous sommes irrités, c'est un beau pas vers l'amour, et c'est un acte d'évangélisation. Faisons-le aujourd'hui ! Ne nous laissons pas voler l'idéal de l'amour fraternel ! »
            Enfin, frères et sœurs, laissons le cri de compassion de Jésus résonner dans notre âme, nous avertissant du mal, nous attirant vers le bien. Et rappelons-nous bien : c'est lui qui accomplit l'œuvre de transformation intérieure, c'est lui qui va modeler notre cœur selon l'esprit des Béatitudes, nous offrant ainsi confiance et sérénité.                        AMEN.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Homélie du 16 juillet 2019 - ND du Mont Carmel

Homélie du 15 octobre 2017 - Sainte Thérèse d'Avila

Homélie du 14 décembre 2017 (St Jean de la Croix)