homélie du 17 mars 2019 - 2e Carême
Frères et sœurs, le second
dimanche du Carême est traditionnellement placé sous le signe de la
Transfiguration. Jésus nous a montré, la semaine dernière, comment vaincre les
tentations qui ne manquent pas sur notre route. Cette semaine, Il nous emmène sur la montagne pour nous
introduire à lʼintimité avec Dieu. La montagne, dans la Bible, représente
le lieu de la proximité avec Dieu et de la rencontre intime avec Lui…
Les lectures que nous
venons d’entendre nous présentent deux personnages, Abraham et Jésus, qui font profondément lʼexpérience de la paternité de Dieu, alors quʼils sont en chemin
sur cette terre. La révélation de cette
paternité est la découverte dʼun amour infini, qui enveloppe et attire
lʼhomme, et finalement unit et incorpore à Lui tous ceux quʼil aime pour leur
faire partager sa gloire…
Dans le livre de la
Genèse, Dieu vient remédier à la stérilité dʼAbraham ; mais avant de le faire
devenir père, il lui révèle la vraie paternité, celle de Dieu. Comme le
rappelle le catéchisme, cette paternité revêt un double sens :
« En désignant Dieu du nom de ʻPèreʼ, le langage de la foi indique
principalement deux aspects : que Dieu
est origine première de tout et autorité transcendante et quʼil est en même
temps bonté et sollicitude aimante pour
tous ses enfants… » (CEC n°239)
Notre image de Dieu
souffre de toutes nos fausses conceptions de la paternité, souvent issues
dʼexpériences douloureuses. LʼÉvangile nous en donne deux exemples :
- Le serviteur qui a une fausse image de son maître : « je savais que
tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu nʼas pas semé, tu ramasses là où tu
nʼas pas répandu le grain… » (Mt 25,24).
- Le fils aîné dans la parabole du fils prodigue, qui se considère
plus serviteur que fils : « Il y a tant dʼannées que je suis à ton service sans
avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne mʼas donné un chevreau
pour festoyer avec mes amis… » (Luc 15, 29). Son père lui répond : « toi, mon
enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi… » (v.31).
Au-delà des pères
défaillants, dont notre société moderne occidentale souffre plus que dʼautres,
il existe aussi la souffrance de tant de
pères incompris dans leur amour pour leurs enfants. Et aussi de tant
dʼhommes qui ne deviennent pas pères, comme Abram.
La première fois que le
Patriarche sʼadresse à Dieu dans la Genèse, cʼest pour exprimer sa plainte : « Mon
Seigneur Dieu, que me donnerais-tu ? Je m'en vais sans enfant... » (Gn
15,2).
Douleur de la stérilité,
toujours aussi tragique à son époque quʼen la nôtre. Nous connaissons la suite
de lʼhistoire et toutes les péripéties de cette paternité, à la fois éprouvée
et féconde au-delà de toute espérance, puisque tous les croyants dʼaujourdʼhui sont dits « fils dʼAbraham ».
Dieu va donc guérir cette
souffrance, mais il montre dʼabord à Abram qui
est le seul vrai Père, pour quʼil se découvre fils, et non pas seulement un
nomade araméen…
En se révélant à lui et en
sʼengageant sans contrepartie à lui assurer un pays et une descendance, Dieu
montre à Abram la tendresse et la sollicitude quʼil éprouve pour lui, celle dʼun père qui assure lʼavenir et le
bonheur de son enfant. En faisant de lui le père dʼune multitude, il lui donne un honneur auquel il
nʼaspirait pas, et qui est un reflet de sa majesté et de sa paternité.
Jésus, lui aussi, fut un
homme en pèlerinage sur cette terre. Lʼévangile de Luc situe la Transfiguration
entre son ministère en Galilée (Lc 4-9) et sa dernière montée à Jérusalem (Lc
10-19). Avec Moïse et Elie, Il sʼentretient de son « départ » - de son
« Exode » - qui aura lieu à
Jérusalem : sa vie terrestre va prendre
tout son sens avec le mystère pascal… Il recevra de Dieu, son Père, une
nouvelle vie, une nouvelle fécondité : « Parce ce quʼil a connu la souffrance,
le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes » (Is 53, 11) ; Il sera glorifié : « Mon serviteur réussira, dit
le Seigneur ; il montera, il sʼélèvera, il sera exalté » (Is 52, 13).
Dans cet épisode de la
Transfiguration, Jésus est révélé pour ce quʼil est vraiment depuis toute
éternité : le Fils bien-aimé, glorieux
et consubstantiel au Père, Verbe éternel inspirant la Loi (Moïse) et les Prophètes (Elie), et parole du Père pour nous : « écoutez-le
». Le Père aime infiniment le Fils et lui confère sa gloire. Le Fils est
cette « vie éternelle qui était tournée vers le Père et qui nous est apparue »
(1Jn 1,1-2). Glorieux depuis toujours et destiné à la gloire de la Trinité,
Jésus dans son humanité vient nous révéler notre propre destinée finale, que nous
ne pouvons accueillir que dans la foi.
Autre aspect que nous
devons bien voir dans l’événement du mystère de la Transfiguration du Christ,
c’est qu’en effet cet événement, à lui seul, nous révèle une triple
prophétie :
- Celle du corps glorieux du Christ que le père va relever et
glorifier lors de la résurrection ;
- Celle de son Église comme son « corps mystique », elle aussi
appelée à la gloire ;
- et enfin, celle du destin de chaque homme, appelé
à découvrir la paternité aimante de Dieu, pour renaître en lui à une existence
nouvelle jusque dans sa chair.
Ressuscité, et glorifié
dans sa chair, Jésus va incorporer à la vie divine les croyants : lʼÉglise qui
naîtra de son flanc percé sera son propre corps. Cʼest pourquoi la présence des
apôtres sur la montagne est importante : ils découvrent le mystère de Jésus qui
deviendra leur propre mystère…
La paternité des apôtres
et de l’apôtre des Gentils est toute spirituelle et se réalise pour ceux qui
ont la foi par l’incorporation au Christ. Le peuple saint issu des entrailles
d’Abraham devient, par le ministère des apôtres, l’Église issue du Cœur du
Christ…
La Transfiguration nous
ouvre ainsi deux espérances liées : la
première, exprimée par la lettre aux Philippiens, est individuelle, puisque notre propre corps sera lui aussi
transformé, à la fin des temps, « à lʼimage de son corps glorieux » ce qui
fonde le respect qui lui est dû…
Lʼautre espérance est collective, puisque toute lʼÉglise est le
Corps mystique du Christ qui sera resplendissant à la fin des temps… Ainsi tout sera achevé à la gloire du Père.
Alors, frères et sœurs,
quels enseignements concrets cet épisode de la Transfiguration comporte-t-il
pour nous ?
Tout dʼabord, les lectures
de ce dimanche nous invitent à valoriser
la paternité humaine, au-delà de tout ce qui la défigure dans notre monde
d’aujourd’hui…
Ensuite, la liturgie nous
invite surtout à adopter un regard
surnaturel, à désirer la vision de Dieu, à exercer notre foi. Dieu demande
ainsi à Abram de « regarder le ciel et compter les étoiles ». Au-delà de sa
préoccupation terrestre de donner la vie biologique et de transmettre ses
biens, le Seigneur lʼinvite à découvrir une dimension plus large de sa
destinée, au-delà du temps et de la matière.
Quelles préoccupations sont les nôtres ? Sommes-nous surtout
centrés sur nos ambitions humaines, matérielles et professionnelles ou bien
élevons-nous les yeux ?
Paul nous a rappelé ce
matin, que nous sommes pèlerins sur cette terre et que notre vraie cité se
trouve dans les cieux. Est-ce que nous arrivons à agir en conséquence – ce qui
demande beaucoup de détachement – ou bien est-ce que nous organisons notre
confort ici-bas ?
Est-ce que nous nous
projetons volontiers dans cet immense
projet de Dieu pour nous quʼest lʼadoption filiale et la gloire éternelle ?
Comme Moïse et Élie, comme Pierre, Jacques et Jean, nous sommes destinés à
pénétrer un jour sous la nuée. Nous y
préparons-nous ? Si nous nʼavons pas encore le goût de cet horizon infini,
sʼil nous écrase et nous fait peur comme aux apôtres, prenons le temps pendant ce carême de méditer sur la grandeur toute
paternelle de Dieu, sur cet amour qui
nous attire vers la béatitude éternelle ; demandons-lui dʼouvrir notre cœur et de nous rassurer. Lʼadoration
eucharistique, où nous contemplons le Christ vraiment présent, gage de la
gloire future est pour cela un lieu privilégié.
Que ce temps de Carême
soit pour chacun de nous un temps de
conversion, de recueillement et de retour vers Dieu. Accueillons en nos
cœurs la lumière dont resplendit le visage de Jésus. Alors nous pourrons
contribuer à transfigurer le visage de notre monde. Amen.
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