Homélie du 20 janvier 2019 - 2e TO

Frères et sœurs, après le baptême de Jésus que nous avons célébré dimanche dernier, le temps ordinaire s’ouvre cette année par le récit des Noces de Cana. En accomplissant son premier signe au cours d’un mariage, Jésus reprend à son compte le thème des noces entre Dieu et son peuple, abondamment utilisé dans l’Ancien Testament pour caractériser l’Alliance.
Avec le Christ, l’Alliance est fondée de nouveau, et dépassée : le Fils lui-même se donne comme source de joie et de vie. Dans notre première lecture, le prophète Isaïe dépeint par avance la fiancée, le peuple d’Israël, aujourd’hui délaissée et demain promise au bonheur et à la joie.

Mais revenons à notre évangile de ce jour. Après leur rencontre avec le Messie, les disciples accompagnent Jésus à des noces. Le village de Cana est proche de Nazareth et la sainte Famille était probablement liée avec les futurs époux… Cʼest la première fois que le petit groupe des disciples, formé autour de Jésus, se trouve dans une festivité publique, et saint Jean assiste ébloui au premier signe de Jésus qui va porter les disciples à « croire en lui » (v.11).

Observons les personnages de cette scène et notons que leur importance s’inscrit à rebours de la hiérarchie habituelle, et que l’essentiel de la scène se joue en coulisses avec des personnages « secondaires » selon les yeux du monde. Lors d’un mariage, ce sont d’ordinaire les époux qui constituent le centre d’intérêt. Ici, de façon surprenante, rien n’est dit sur l’épouse et l’époux n’est mentionné qu’une fois… La louange que lui adresse le « maître du repas » est d’ailleurs fondée sur une équivoque car « il ne savait pas d’où venait ce vin », tant le miracle fut caché.

Notons au passage que le « maître du repas » était, lors d’un mariage, un personnage important car il présidait comme un « chef de clan » aux festivités en leur donnant leur aspect officiel et s’assurait de leur bon déroulement. Mais lui aussi n’est qu’un personnage secondaire sous la plume de saint Jean : il n’a pour fonction que de souligner la qualité hors du commun du vin et son ignorance est patente.

À l’inverse, les serviteurs étaient des personnes peu considérées, souvent des esclaves, et personne ne faisait attention à eux pendant les réjouissances. Or le texte souligne leur importance : Marie s’adresse à eux, le Christ leur donne deux ordres successifs, et ils entrent dans la compréhension du mystère : « ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau ».
Disciples et serviteurs sont ainsi unis dans la connaissance du miracle accompli. Leur action remplir les jarres, puiser le vin et en porter au maître du repas est au centre de tout le récit. Saint Jean projette sur eux le futur rôle des apôtres : être « serviteurs du mystère »… Lorsque les apôtres baptiseront les nouveaux croyants, ne devront-ils pas puiser physiquement l’eau pour transmettre le vin de la grâce ?

Finalement, ce sont deux invités – de marque certes, mais seulement invités – qui sont au centre de toute la narration : le Christ et Marie, le seul couple de ces noces… L’événement revêt une fonction de révélation : tout ce qui se passe a pour finalité la « foi des disciples dans le Christ », soulignée à la fin.
Qui est Jésus, pour le lecteur du quatrième évangile arrivé au début du second chapitre ? Il est le Verbe incarné, désigné par Jean-Baptiste comme « l’Agneau de Dieu » sur lequel l’Esprit repose (Jn 1,33) et qui doit « baptiser dans l’Esprit Saint ». Quelques disciples se sont attachés à lui et sont disposés à croire en lui… Le Verbe venu d’en haut s’est donc révélé aux hommes, et c’est à Cana que les disciples vont faire le pas de la foi après avoir vu Jésus œuvrer au nom de Dieu : « Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui ».
Ce mystère a lieu pendant des noces. Jésus reprend ainsi à son compte toute la théologie de l’Ancien Testament des noces entre Dieu et Israël. Jésus y tient la place de Dieu, l’Eternel, puisqu’il est le Verbe incarné. Israël, en revanche, est représenté par plusieurs personnages. Tout d’abord les disciples et les invités à la noce, en général. La remarque « on manqua de vin » exprime l’état d’indigence du peuple saint en attente du Messie.
Un grand changement a lieu avec la venue de Jésus : à lʼeau qui représente l’observance de la Loi, suggérée par les « six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs » (v.6), vient se substituer le vin nouveau d’une qualité inconnue, la grâce, comme pour illustrer les versets du prologue de l’évangile de Jean : « Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce. Car la Loi fut donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ » (Jn 1,16-17).
Le commentaire du maître du repas souligne ainsi les deux éléments les plus importants de l’Evangile : la nouvelle économie de la grâce est supérieure à l’ancienne (le moins bon… le bon vin)…
Mais Israël est aussi figuré par Marie, la mère de Jésus. En exprimant l’indigence de son peuple, « ils n’ont pas de vin », elle participe de la prière séculaire de supplication des croyants d’Israël…
Une prière qui deviendra le cri au secours de l’Église à la fin du livre de l’Apocalypse : « Amen, viens, Seigneur Jésus ! » (Ap 22,20). Marie est la figure de l’Église qui intercède pour tout le peuple de Dieu, pour tous les hommes.
Puis elle indique aux serviteurs l’attitude juste : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (v.5), comme l’Église qui prône l’obéissance au Christ. Obéissance surprenante des serviteurs de la maison à un invité extérieur, dans le contexte humain du récit… Et pourtant, obéissance qui permet au Christ de « manifester sa gloire », hier comme aujourd’hui : en accomplissant leur tâche fatigante de « remplir d’eau les jarres jusqu’au bord » (six jarres d’une centaine de litres chacune…), c’est-à-dire en collaborant humainement avec l’œuvre du Seigneur, les serviteurs permettent au Christ d’irriguer les âmes du vin nouveau de la grâce.
Subtilement, saint Jean a donc décrit les nouvelles épousailles du Seigneur avec un peuple de Dieu bien structuré : les serviteurs (qui représentent, ici, les diacres de l’Église) ; les apôtres illuminés par la gloire ; le peuple lui-même qui « manque de vin » et reçoit le « vin meilleur » ; la mère de Jésus, à la fois fille de Sion et mère de l’Église, qui préside discrètement aux noces de son Fils.

Frères et Sœurs, j’attire votre attention sur la présence de l’eau car il est l’un des symboles qui parcourt comme un fil rouge tout l’Évangile de Jean… Dans toutes les scènes où l’eau apparaît, celle-ci symbolise le désir profond de l’homme d’être purifié et désaltéré, son désir secret de sanctification et d’amour. Appliquée à Dieu, l’eau est la source qui purifie et vivifie.
Dans cet épisode des noces de Cana, Jésus signifie qu’il vient combler ce désir profond de l’homme au-delà des attentes de son cœur. Quel est mon désir de Dieu ? Suis-je tout entier tourné vers lui, ou est-ce que je cherche à combler mon cœur par d’autres moyens ?
Marie, dont le cœur est parfaitement pur, remarque que les hommes n’ont plus de vin, que la source de joie s’est tarie : Elle recommande aux serviteurs d’obéir scrupuleusement à son Fils. Suis-je conscient que mes joies humaines sont éphémères si elles ne sont pas sanctifiées par Dieu ? Pour recevoir cette nouvelle joie, cette nouvelle vie, suis-je prêt à laisser Dieu agir et à faire tout ce qu’il me dira ?
Dans ce récit, l’eau se trouve dans les jarres de purification, au fond de la salle de noces. Jésus va partir de là. Dans une société où la notion de péché s’est largement diluée dans le droit au bonheur et le rejet de toute culpabilité, suis-je conscient d’avoir sans cesse besoin d’être purifié non par des rites extérieurs, fussent-ils chrétiens, mais par Jésus lui-même ?
D’autre part, Jésus commande de remplir ces jarres. Regardons ce qui dans nos vies, dans nos entreprises et nos joies humaines a besoin d’être purifié. Comment sont nos jarres ? Ne contiennent-elles qu’une eau croupissante ou bien sommes-nous débordants d’un désir de conversion, l’attente d’être comblés par Dieu ? Écoutons la requête de Jésus : « remplissez d’eau ces jarres » et regardons comment les serviteurs exécutent cet ordre à la lettre : « ils les remplirent jusqu’au bord ».
Demandons ce matin au Seigneur de venir creuser en nous un vrai désir de conversion et de soif de Dieu… À partir de là, Jésus pourra agir puissamment. L’eau purifiante et rafraîchissante de sa présence se changera alors en vin, la boisson de fête qui réjouit et comble le cœur de l’homme.                   AMEN.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Homélie du 16 juillet 2019 - ND du Mont Carmel

Homélie du 15 octobre 2017 - Sainte Thérèse d'Avila

Homélie du 14 décembre 2017 (St Jean de la Croix)