Homélie du 23 sept 2018 - 25e TO
Frères et sœurs, deux chemins se
croisent et s’opposent dans l’évangile de ce jour : tandis que Jésus se prépare
à un chemin qui descend au plus bas, les apôtres, rêvent de grandeur et de sommets.
Cette distance douloureuse entre le Christ et les disciples se répète aujourd’hui ; il suffit de considérer l’écart qui sépare nos préoccupations
humaines de ce que devrait être la vraie vie de l’Église. Le Christ nous
propose le même remède qu’aux disciples : l’enfance spirituelle, qui va
permettre de le rejoindre dans le mystère de sa Croix et de sa résurrection.
… Jésus se présente donc sous les
traits d’un enfant, comme il se présente aussi sous ceux du pauvre (cf. Mt 25).
Ces deux figures constituent un seul et même mystère, celui du dépouillement de
Dieu. Jésus est simple, confiant, dépendant de l’amour de son Père …et du
nôtre. Et le Père, en livrant son Fils qu’il aime plus que tout, est lui aussi
dépouillé, pauvre, vulnérable: « Et celui qui m’accueille, ce n’est pas
moi qu’il accueille, mais celui qui m’a envoyé. »
Tout au long de l’évangile, Jésus
est celui qui demeure semblable à un enfant : dans son abaissement, dans son être
Fils.
En s’abaissant, tout d’abord : Jésus
est celui qui, lumière née de la lumière, descend : dans la chair humaine, dans
le sein de la Vierge, dans l’humble bourgade de Galilée, dans le Jourdain où
affluent les pénitents, dans le désert où rôde le tentateur. Il est celui qui
quitte la gloire du ciel pour se faire petit auprès des humbles, mais aussi des
puissants dont il endure l’arrogance et la résistance intérieure. Il descend
ensuite dans la vallée du Cédron, le jardin de Gethsémani et dans la nuit du
tombeau avant d’être exalté…
La vie
spirituelle est un chemin de dépouillement humain. Acceptons-nous d’être
abaissés, de nous faire petits ? Pour le savoir, nous pouvons nous interroger
sur notre manière de prendre les contrariétés et humiliations ordinaires, dans
le travail, la vie sociale ; sur notre besoin de reconnaissance humaine ; sur
la manière dont nous supportons que d’autres soient favorisés, préférés…
Il est
peut-être temps d’accepter de n’être rien pour que Dieu soit tout.
D’autre part, Jésus se fait enfant
en se définissant comme Fils. C’est le Père qui affirme le premier cette
filiation dans l’évangile de Marc, lorsque s’ouvrent les Cieux au-dessus du
Jourdain : « tu es mon fils bien aimé ; en toi je
trouve ma joie » (Mc 1,11). Ce
lien avec le Père est toute la raison d’être de Jésus, c’est aussi tout son
agir car il renvoie en permanence vers lui… Et l’obéissance de Jésus n’est
pas celle de l’esclave craintif mais du Fils aimant et confiant qui s’offre ;
elle le pousse à dire, selon un vocabulaire très enfantin : « Abba,
Père » (Mc 14, 38).
Et nous ? Comme le Fils unique, nous
sommes appelés à grandir toujours plus dans la dépendance au Père. Cette
relation est-elle essentielle pour nous et détermine-t-elle toutes nos autres
relations ? Conditionne-t-elle tous nos choix ou revendiquons-nous une large
autonomie ? Sommes-nous, comme Jésus, dans l’émerveillement total face à
l’œuvre et à l’amour du Père…
Le texte de l’évangile nous présente
l’accueil de l’enfant comme le chemin pour vivre l’enfance spirituelle à la
suite de Jésus. Le Christ y répète quatre fois le verbe « accueillir », qui est
central dans l’attitude spirituelle du chrétien… Cette attitude réceptrice
souligne la primauté de la grâce, puisque c’est Dieu qui œuvre dans le cœur des
croyants, et la nécessité d’une ouverture sincère du cœur.
Sur le plan spirituel, tout chrétien
est appelé, comme Marie lors de l’Annonciation, à accueillir en lui et à
laisser grandir celui qui se fait petit mais est plus grand que nous.
Frères et sœurs la prière est
l’attitude par excellence de l’enfance spirituelle. C’est dans la prière que
nous sommes appelés à la recevoir. Si nous sommes habitués à prier avec des
formules, ce qui est très bien, il est
important que nous ayons aussi des moments de dialogue improvisé avec Dieu, et
surtout de silence, pour être tout simplement et uniquement avec lui, comme un
enfant dans les bras de son père ou sa mère. Recherchons ces moments où
nous pouvons simplement dire au Seigneur : « je suis pauvre, je n’y arrive pas,
je m’en remets à toi » ; ou bien : « je suis joyeux, je sais que tout cela
vient de toi, je te remercie » ; ou encore : « reste avec moi, je ne comprends
pas mais j’accepte, éclaire-moi, aide-moi ».
Cette prière est œuvre de l’Esprit
Saint, auquel il faut tout remettre. Elle implique une certaine mort, à
nous-mêmes et à la vie naturelle, pour que l’Esprit puisse agir en plénitude…
Accueillir le Christ, cela peut nous
sembler très naturel, à nous qui cherchons sincèrement à le suivre. Il apporte
joie et libération et illumine nos vies. Ce n’est pourtant pas toujours si
simple. Accueillir le Christ, c’est bien sûr accueillir l’ange de
l’Annonciation et la crèche, mais c’est aussi accueillir la Croix. Marie l’a
vécu la première. À nous aussi il est demandé d’accueillir le Christ angoissé à
Gethsémani, le Christ outragé, défiguré, écrasé sous le poids de la Croix,
supplicié sur le bois, puis finalement ressuscité. Mesurons-nous la portée de ces mots
?
Pour
illustrer mon propos permettez-moi de vous citer l’extrait d’une lettre de
François de Sales à sa fille spirituelle, Jeanne de Chantal :
«
Vous voulez bien avoir une croix, mais
vous voulez avoir le choix ; vous la voudriez commune, corporelle et de
telle ou telle sorte. Et qu’est-ce cela,
ma Fille très aimée ? Ah non, je désire que votre croix et la mienne soient
entièrement croix de Jésus-Christ [Jn 19,25], et quant à l’imposition de celle-ci et quant au choix. Le bon Dieu
sait bien ce qu’il fait et pourquoi ; c’est pour notre bien sans doute. Notre
Seigneur donna le choix à David de la verge par laquelle il serait affligé [cf.
2S 24,12] ; et, Dieu soit béni, mais il me semble que je n’eusse pas choisi,
j’eusse laissé faire tout à sa divine Majesté. Plus une croix est de Dieu, plus nous devons l’aimer. »
Frères
et sœurs, c’est la prière, une fois de plus, qui nous rend capable d’accueillir le
mystère de Pâques dans nos vies et dans celle des autres, sans en être
scandalisés.
La prière de l’oraison est écoute de la Parole de Dieu. Loin d’être passive, cette écoute est l’obéissance de la foi, accueil
inconditionnel du serviteur fidèle en même temps qu’adhésion aimante de
l’enfant. L’oraison participe au "oui" du Fils devenu Serviteur et au
"fiat" de son humble servante... Les paroles dans l’oraison ne sont
pas des discours mais des brindilles qui alimentent le feu de l’amour. C’est
dans ce silence de l’oraison, insupportable à l’homme "extérieur",
que le Père nous dit son Verbe incarné, et que l’Esprit filial nous fait
participer à la prière de Jésus.
Demandons ce matin au
Seigneur les uns pour les autres la grâce d’entrer davantage dans une prière
toujours plus silencieuse, confiante et accueillante à la volonté de Dieu. AMEN.
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