Homélie du 11 novembre 2018 - 32e TO


Frères et sœurs, après les lectures que nous venons d’entendre vous avez sans doute pu remarquer ce matin que les deux veuves dont il est question dans ses récits sont anonymes. Ces veuves peuvent ainsi incarner diverses réalités où la pauvreté est grande, la générosité admirable (évangile), et la grâce de Dieu surabondante pour la veuve de Sarepta.
            La veuve appartient à la catégorie des personnes vulnérables que l’Écriture appelle à protéger. Mais qu’est-ce qu’une veuve très précisément ? C’est une femme qui a perdu celui qui l’aimait et la protégeait. Aussi la veuve évoque-t-elle plusieurs réalités. Le peuple d’Israël en exil, tout d’abord. Il porte le deuil de Jérusalem et de son alliance avec Dieu ; il est en attente du Salut et se sent abandonné par son Seigneur. Sans Dieu, il n’est plus rien.

            La veuve de Sarepta, pour sa part, évoque à l’inverse les nations païennes séparées de leur époux, le seul vrai Dieu. Elles sont en souffrance et misérables, dans l’attente du salut apporté par le Christ.
            Nous-mêmes ressentons-nous ce double deuil et cette double fragilité ? Celle des croyants que nous sommes, séparés de leur époux par leur condition mortelle et leurs propres péchés ; et aussi celle des hommes incroyants qui nous entourent et ne savent en qui mettre leur espérance ?
            La veuve symbolise les pauvres de tous les temps qui dépendent de la Providence divine comme les oiseaux du ciel : « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas plus qu'eux ? » (Mt 6,26). Comment accueillons-nous et soutenons-nous concrètement le pauvre, la veuve, l’orphelin, l’étranger ? Quelle place ont-ils dans nos vies ? « Ce que vous aurez fait à l’un de ces petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait » (Mt 25, 40).
            La veuve, c’est encore l’Église et ses diverses communautés familiales, religieuses, paroissiales avec leurs faiblesses humaines, leurs péchés, la pauvreté de leurs moyens ; mais le Christ les regarde avec amour, comme la veuve de l’Évangile ; si Jésus fustige les hypocrites, Il contemple longuement les actes d’abandon et les mouvements de générosité du moindre de ses membres. Il s’émeut face aux égarements humains de son Église pauvre qui voudrait lui rendre gloire. Il ne cesse de la soutenir, de la nourrir et de la fortifier. La farine est devenue le pain eucharistique ; l’huile de Sarepta préfigurait l’onction du baptême, de la confirmation, de l’ordre et du sacrement des malades ; jamais ils ne viennent à manquer. De même, à la table de Dieu, sa Parole ne s’épuise jamais, pas plus que son pardon : puisons-nous sans compter, frères et sœurs, dans ce Trésor plus précieux que le trésor du Temple ?
            La veuve c’est enfin chacun d’entre nous, chacune de nos âmes. Une fois de plus, le Seigneur nous invite à nous détacher des biens matériels. Et le catéchisme nous le rappelle :
            « Jésus enjoint à ses disciples de le préférer à tout et à tous et leur propose de donner "congé à tous leurs biens" (Lc 14, 33) à cause de lui et de l’ Évangile (cf. Mc 8, 35)... Le précepte du détachement des richesses est obligatoire pour entrer dans le Royaume des cieux. Tous les fidèles du Christ ont à régler comme il faut leurs affections pour que l’usage des choses du monde et un attachement aux richesses, contraire à l’esprit de pauvreté évangélique, ne les détournent pas de poursuivre la perfection de la charité. »

            Dieu nous invite à partager nos biens, chacun selon ses possibilités et son état de vie… Même s’il n’entre pas en dialogue avec elle, il est émouvant de penser que la veuve du Temple est la dernière rencontre de Jésus dans l’Évangile de Marc. Ce n’est pas une coïncidence. Le chapitre 12 s’achève sur cet épisode… Ultime rencontre donc pour Jésus, et ultime joie. En cette femme, Jésus trouve une âme qui accomplit pleinement la volonté du Père et dont il peut dire : « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » (Mc 3, 35).
            En effet, que voit Jésus précisément dans cette femme ? Si nous reprenons ses paroles exactes, nous constatons qu’elles vont au-delà de ce que la traduction liturgique nous propose. Jésus dit littéralement : « elle a donné de son manque, tout ce qu’elle avait, toute sa vie »
            Cette femme touche le cœur de Jésus, car elle lui ressemble quand il s’apprête à donner lui-même sa vie, toute sa vie, pour le salut des hommes. Comme lui, elle est entrée dans le mystère d’une vie entièrement donnée qui ne retient rien pour elle.
            Il ne s’agit pas seulement de partage des biens, même si cela en est une nécessaire expression. Il s’agit d’une attitude générale du cœur : mettre tout son amour, toute sa confiance, toutes ses forces à aimer Dieu et notre prochain à l’exemple du Seigneur : il nous a tout fait connaître de ce qu’il a appris de son Père (Jn 15) ; il nous a aimés comme le Père l’a aimé, jusqu’au bout (Jn 13) ; il s’est livré et a laissé transpercer son cœur dont symboliquement le sang et l’eau ont été vidés par le coup de lance.
            Juste avant que ne commence le temps de la Passion, Jésus nous donne comme un secret de cette mort qui approche : cette femme est l’ « icône » de Dieu… de Jésus qui donne « tout », tout ce qu’il a pour vivre ! « Dieu, de riche qu’il était, s’est fait pauvre pour nous enrichir » ose dire St Paul (2 Co 8,9). L’amour ne calcule pas ! Dieu est amour : il n’a pas calculé… Il a tout donné !
            Le plus souvent, nous n’aimons que partiellement, conditionnellement. Nous ne nous livrons pas entièrement à Dieu. Cela nous déplaît et nous fait peur. Or, Dieu n’aime pas ainsi : « la mesure de l’amour c’est d’aimer sans mesure », dit saint Augustin. Or, c’est parce que nous ne parvenons pas à faire ce pas généreux du don de nous-mêmes que Dieu ne peut pas nous combler : « Fais-toi capacité et je me ferai torrent », disait Jésus à Catherine de Sienne…
            Demandons ce matin au Seigneur pour son Église mais aussi pour chacun d’entre nous de prendre le temps de méditer sur cet absolu et sur notre propre difficulté à y répondre. Cela implique notamment de mettre de côté l’égoïsme, la méfiance, le doute, le calcul.
            Cette disposition de pauvreté est un secret, un mystère que seuls quelques-uns découvrent mais c’est un chemin dont personne n’est exclu et qu’il nous faut découvrir jour après jour. Une découverte qui peut devenir source d’émerveillement, de fécondité et d’actions de grâce…                                                                                        Amen.


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